L’infatigable misère sociale
Il y a plein d’adjectifs pour la qualifier sans l’éradiquer.
Pas besoin d’aller très loin autour pour la trouver.
A la lisière de la capitale des Gaules
Délimitée par le périphérique sud – est
Elle ne se montre pas d’emblée hostile
Elle se devine pourtant aux grappes de dealers
Silhouettes fuyantes aux vêtements sombres
Casquettes à capuche regards sans regard ou appuyé
Défi larvé et bagnoles rutilantes crissement de pneus
Certains disent bonjour ils ont appris à la petite école
Ils en sont sortis sans diplôme ils ont trouvé mieux
Ils furètent et rouillent ou foutent la trouille
au bas des escaliers maussades
Ils ne se cachent pas et jouent à semer la police.
L’été les ados font des rodéos sans casque
Ce sont les petits frères, le filles rasent les murs
ou s’exposent en nymphettes insolentes et maquillées
Beaucoup sont voilées (plus qu’avant)
La religion fait le partage entre les comportements
Les mères protègent les petits mâles jusqu’au collège
Cela ne suffit pas en filigrane les dés sont pipés
Les jeunes qui croient au futur ont des ambitions
Toutes et tous ne sont pas logé.e.s à la même enseigne
Derrière eux la misère sociale s’organise en ghettos
Elle se confine dans ce vieux quartier au long passé ouvrier
Entre usines démantelées et hôpitaux déclassés
La destruction de l’autopont en 2018 a donné le signal politique
« zone de redynamisation urbaine » tel est le message
Les artères philanthropiques de Tony Garnier
Boulevard des Etats Unis début XX° siècle
Cité Gerland – Longue Rue Berthelot
coupant l’agglomération entre Bron et le Rhône
ont irrigué l’habitat et l’ont figé jusqu’à saturation
Sans ascenseur les ancien.ne.s habitant.e.s
n’y vieillissent plus ou y sont mort .e.s. peu à peu
La promotion immobilière a fait imploser ces quartiers
annexés aux 3° et 7° jusqu’aux portes de Vénissieux
Ainsi le malheur social a trouvé refuge dans les plans
d’urbanisation toujours insuffisants et sélectifs
Un foisonnement de comités de quartier
débats houleux entre porte-parole délégués et médiateurs …
Les premiers représentant.e.s de locataires élu.e.s
remplacé.e.s demain ou après-demain par des propriétaires
Lissage et mixage des prétendant.e.s au logement
Recherche de salubrité et de solvabilité
Halte aux punaises de lit, aux rats et aux cancrelats !
Les projets bienveillants sont affichés
à longueur de palissades et de flyers
On y voit des gens actifs et heureux
des commerces prospères et des services publics rénovés
Entre l’image et la réalité il y a des années de gravats
et de désillusions aggravées
l’augmentation des loyers devient justifiable
par les normes écologiques et leurs effets de surcoût
Ce qu’on ne dit pas : Le Grand Lyon a besoin de s’étendre
et de rendre visible le commerce à haut débit
Il grignote peu à peu les terrains constructibles
On rachète même des villas des années 50 ou plus
On les remplace par des immeubles en co-propriété
Une part minime de logements sociaux pris d’assaut
L’heure est à la rentabilité.
Toute misère sociale est reléguée
aux parcelles non encore démolies.
ça va très vite désormais
le confinement avait retardé les destructions
mais tout se rattrape aujourd’hui .
On a observé la métamorphose du quartier Mermoz
coupé en deux par la ligne D du Métro et le T6 du Tramway.
Plusieurs années de chantier
« quartiers qui craignent » lit-on dans les journaux.
Jusqu’à la démolition des immeubles et de l’école Pasteur
Le centre social est devenu le point stratégique des infos.
La misère sociale s’affiche au fil des mois
La peau des murs la révèle
La couleur des visages aussi
Quartier Sud Quartier Nord
Concentration d’étranger.e.s
Primo arrivant.e.s au gré des exils
Tout le brassage des populations s’accélère.
Les logements sont trop étroits
La misère sociale s’installe dans les rues.
A suivre… (Premier jet )
« des années de gravats et de désillusions aggravées »
Quelle force patiente et exhaustive. Admiratif. Merci Marie Thérèse.
Détresse en lisière… Cet autre monde ci loin ci proche…
« Ils furètent et rouillent ou foutent la trouille »
« au bas des escaliers maussades
Entre l’image et la réalité il y a des années de gravats et de désillusions aggravées »
Merci pour ce texte qui nous rappelle une réalité qu’on aime bien oublier…
Merci Ugo et Natacha pour votre passage dans cette « réalité » là, bien incomplète puisque de toute transformation aussi radicale ( on rase et on reconstruit ) amène d’autres dynamiques et d’autres façons de vivre ensemble au point de me demander si ce n’est pas la peinture neuve et la verdure importée qui console un peu la population qui tire le bon lot (numéro et nouvel emplacement d’immeuble). La démolition « à la boule » est spectaculaire, la reconstruction lente et inesthétique. Mais les enfants qui ont grandi continuent à jouer, rire et crier entre les bouts de béton et les ferrailles. Quand les premiers chantiers ont été fini, les gens sont rentrés chez eux et se retrouvent maintenant dans les jardins municipaux et au marché. Le quartier Nord a embelli, le Sud attend encore son tour. Une certaine émotion à traverser à pied ces drôles de termitières où la vie grouille, la misère encore aussi…
…
Ils furètent et rouillent ou foutent la trouille
…
Cela ne suffit pas en filigrane les dés sont pipés
…
Entre l’image et la réalité il y a des années de gravats
et de désillusions aggravées
…
Vos mots sont si justes, tristement exacts, tranchants.
Merci Marie-Thérèse
un premier jet déjà très édifiant….
un état des lieux réaliste et alarmant
je retiens les descriptifs rapides des personnages, les mères qui protègent les petits mâles, les nymphettes maquillées comme des figures tranchées sur le blanc au fusain
(et je me dis que j’ai bien fait de fuir la ville…)
On attend la suite de ce premier jet si prenant, de cette misère sociale qui s’étale ou se cache. C’est en somme un bel aperçu de la misère de l’histoire humaine. Merci pour ce texte si prenant.
Merci Khedidja, Françoise et Elise pour vos passages ici. Ce texte très limité évoque la transformation d’un arrondissement de Lyon que je parcours depuis plus quarante cinq ans. La démographie démontre un énorme brassage de population et une réorganisation des espaces de vie et de rencontres.