#écopoétique #04 | un jardin sur le néant

Jardin potager de la Ferme du bonheur

Les jardins improbables – nés en terrain hostile ils ont réussi à surmonter d’innombrables obstacles pour être là, avec parfois quelques buddléias, ronces, chardons, quelques vergerettes du Canada, des graminées… Parfois une simple pousse de pissenlits coincée dans la fente entre le mur vertical d’un bâtiment et le commencement du trottoir, avec l’écoulement d’eau, quelques milligrammes de poussières et nutriments suffisent à constituer une petite réserve de terre qui finit par nourrir la graine échouée là. L’ infime substrat assure sa croissance. La graine protégée dans la fissure germe au printemps, la voici qui explose feuilles, tige et inflorescence jaune, déclenche un sourire du passant, l’empathie du promeneur urbain. « Tout de même, quel mérite ! » – ne puis-je m’empêcher de penser et m’identifier même, un peu, sortant à son contact de mes difficultés de vivre.  

Le mérite improbable du jardin, son immission dans les espaces refusés à tout déploiement naturel, sa prouesse résistante, je les ai rencontrées dans l’embranchement routier des autoroutes A86 et A14, à Nanterre, dans l’alignement du centre d’affaires de La Défense, au lieu-dit « Le champ de la garde ». Là, à l’emplacement des quatre hectares d’un ancien établissement scolaire, devenue zone de stockage de déchets, mais aussi de végétalisation spontanée, René des Prés, travaille sans travailler – il pratique l’« agro-poésie » – s’affaire à « La ferme du bonheur ». Le premier objectif est de dépolluer la friche par des techniques naturelles et la pratique du jardinage « sur ces quelques quatre hectares pollués, sales, mais où la Nature faisait ce qu’elle peut : vivre ! ». Un premier néflier, choisi pour son symbole de simplicité : « notre prise d’autorité spontanée, commune, aléatoire, précaire… libre ».

Quand on arrive pour la première fois, je venais de marcher une vingtaine de kilomètres depuis une gare avoisinante par des petits chemins urbains, pérégrination piétonne organisée autour de Paris, de trajets en trajets, de gare à gare, pour promouvoir la marche à pied en tant que mode de découverte et d’exploration à taille humaine de la gigantesque agglomération parisienne. Les marches ne sont pas des promenades, ni des balades mais des marches urbaines accompagnées de spécialistes urbanistes, botanistes, ingénieurs du Grand Paris Express aussi, ou parfois des bibliothécaires de la ville de Paris et des professeurs universitaires de littérature. Institutionnellement, nous sommes invités à marcher par la métropole du Grand Paris et sa branche développement environnemental « Enlarge your Paris ». « Enlarge your Paris » signifie pour les parisiens (ce n’est pas mon cas, je vis en bordure), sortez de Paris, passez enfin le périphérique, fréquentez les espaces naturels du Grand Paris, mais sortez en transport en commun, réduisez votre emprunte carbone, et ensemble défendons la ville habitable et non la bétonnisation, l’artificialisation continue.

Quand on arrive pour la première fois à La Ferme du bonheur, au Champ de la garde, on ne voit pas tout, on ne voit pas « grand » chose. Il faut comprendre d’où est parti le projet, ce qu’était le site, et par qui et comment il est devenu ce qu’il est.  Finalement les espaces urbains ou ruraux, les espèces végétales ou animales, les gens d’ici et de partout, il s’agit toujours de ça : comprendre d’où ils sont partis, comment ils sont arrivés là, comment ils existent. Je devais parler du jardin, mais ce n’est pas grave, j’ai parlé du pissenlit qui a poussé dans l’interstice entre la pierre murale et le bitume du trottoir. La ferme du bonheur, c’est un peu la même chose entre deux axes autoroutiers faire exister le sol d’une friche souillée, et l’art, dans le prolongement de l’axe historique inventé par Le Nôtre entre Paris et Versailles. René des prés était comédien, metteur en scène. Passionné par la représentation théâtrale de grands textes littéraires, Fédor Dostoïevski, Jean Genet par exemple. J’allais oublier, bien sûr, ce lien à Francis Ponge : les cultures agro-poétiques du Champ de garde, s’appellent « la Fabrique du P.R.É ».

A propos de Nolwenn Euzen

blog le carnet des ateliers amatrice de randonnée (pédestre et cycliste) et d'écriture, j'ai proposé des séjours d'écriture croisant la marche et l'écriture, et des ateliers deux livres papiers et un au format numérique "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue revues La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune...

2 commentaires à propos de “#écopoétique #04 | un jardin sur le néant”

    • Merci pour ton retour et ta lecture, Natacha. J’ai une règle qui est de lire (a minima) toute personne qui me commente. Donc je passe te lire très vite.
      Dés-organisation et désobéissance, un esprit de liberté anarchiste cohabitent dans ce jardin, c’est vrai ! J’ai mis le lien vers le site internet de la Ferme du bonheur puisqu’il explique beaucoup plus de choses que mon texte à ce sujet.

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