Sur la grille devant la véranda, le lierre meurt. Il y a quelques mois, un gaillard bien intentionné a trafiqué par là, Jeanne lui a dit Ne coupez surtout pas les branches que je palisse depuis des années. Oui, oui, bien sûr ! et voilà : le lierre meurt. Jeanne, dès qu’on lui parle de quelque chose qui cloche au jardin, elle s’énerve. Un jardin c’est une histoire de vie et de mort. Ça germe, ça pousse, ça meurt. Elle dit qu’elle préfère y voir la vie, A mon âge, la mort ça m’angoisse, un jardin c’est fait pour aller bien, c’est le lieu d’un combat permanent pour continuer à vivre. La mort ça n’existe pas.
C’est l’automne, les nuits deviennent plus longues que les jours. Ça veut dire qu’on va vers la mort ? La nature a choisi et toi, tu choisis quoi, la vie ou la mort ? Au fait, l’équinoxe, c’est universel ? du pôle nord au pôle sud c’est partout pareil ? Arrête d’esquiver, tu le choisis ton camp ?
C’est inéluctable, ce qui est mort aujourd’hui a été vie, a été naissance, parfois nécessité. Ce qui menace de mort aujourd’hui a parfois donné grande vie à certains. Jeanne aime bien dire ça : Si je suis ce que je suis, c’est parce que ça a été. L’esclavage et la colonisation, c’est terrible, dégueulasse, ça fait mal d’entendre les témoignages. Et pourtant, si je suis ici, si collectivement nous sommes ce que nous sommes, européen·ne·s blancs de 2024, notre culture, notre richesse, c’est parce que ça a eu lieu. Elle pense que de penser ça, ça l’aide dans sa vie, dans ses choix de militance. Pas grand monde ne comprend, n‘est d’accord avec elle. Les copains disent que c’est encore une façon d’éluder, de culpabiliser, de ne pas se battre contre.
Qu’est ce que j’en fais dans ma vie : je m’engage, je dis ça ne se reproduira pas, je ne laisserai pas refaire ça, je vote écolo, je vais aux manifs d’Alternatiba, je bouffe bio. Tiens, j’ai décidé de ne faire qu’un voyage en avion par an (et il parait que c’est déjà trop). J’en ai déjà fait deux. Avec les USA pour voir la famille, ça va faire trois et là-bas, il va y en avoir des vols. Alors, le copain qui m’invite au Danemark, je vais le voir ?
L’été est le seul moment où elle sort de la ville en voiture. Elle avait oublié (ou jamais voulu voir) qu’il y a tant de voitures sur les routes, dans les parkings de supermarchés, dans les jardins. Dans la ville, elle se rend moins compte. Et ils veulent transformer tout ça en voitures électriques. Que monsieur Tesla ou madame Peugeot poussent à le faire, c’est leur métier, ils vont se faire un paquet de fric mais est-ce que celui ou celle qui a eu l’idée de l’autoriser, pire, de le rendre obligatoire a imaginé les montagnes d’acier que ça va générer ? En 2100, devant les montagnes de carrosseries cabossées, de batteries obsolètes et les giga factories abandonnées, ils diront Ah oui mais à une époque c’était nécessaire, ça a donné du travail, ça a enrichi des gens. Et puis l’électricité, ça polluait moins. La petite fille de Jeanne dira Ah bon, c’était la seule solution ? Jeanne, elle dit qu’il faut empêcher ça.
Dis moi, tu es sûre que la Fatoumata Diawara qu’on a vue ce soir d’équinoxe, griot chamane musicienne puissante, c’est la même que la jeune femme presque timide que nous avions vue il y a 8 ans avec Edgar Moreau et son violoncelle ?
5 commentaires à propos de “#écopoétique #04 | griot”
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ça pousse tout l’envie de vie et parfois ça bouscule les idées reçues et les gens du futur. Jeanne semble se débrouiller avec son jardin et ses idées comme avec sa vie, elle garde ce qui a des boutures… J’aime bien ce texte et sa conclusion sur la chanteuse devenue elle-même par addition d’expériences.
Merci pour ce commentaire énergisant, Marie Thérèse.
« de ne pas se battre contre »
juste se battre pour que la vie continue dans le jardin et en soi et pour qu’il ne soit pas question de choisir son camp…
(et au moment de quitter ta page, je lis ta bio qui résonne finalement avec ça : « ne pas tout perdre »…)
Françoise, j’ai relu mon texte après ton commentaire, j’y vois plus net. Merci !
Il y a de la colère dans ce texte qui donne de l’énergie