Revenir à pied : de la gare en bas, monter jusqu’ au plateau. Chaque fois, tu te dis que c’est la dernière. En haut, la ferme, en cours d’écroulement. Prise dans des filets, un piège. Ils font semblant de maintenir les murs des granges en train de s’ébouler, Pareil pour le toit bâché, change donné, misère cachée. On s’occupe d’elle, ça se voit : elle pourrit lentement, il suffit d’attendre. En face, à la place des champs, l’écoquartier couleur anthracite s’est encore agrandi. Circulation des voitures, et des piétons qui longent tranquillement la ferme sans la voir. Tu sais qu’incessamment, la procédure de péril va être prononcée, la démolition de la vieille bâtisse pourtant classée suivra et le jeu de cubes anthracite s’agrandira encore. Ce sera une bonne chose, une réponse à la crise du logement. Tu traverses la route et comme dans un défi, tu marches à l’intérieur du quartier gris, là où poussait le blé que tu voyais depuis une fenêtre des Granges, côté plateau. Allées goudronnées à la place, quelques arbres malingres pour faire semblant. L’autre nuit, tu as rêvé que sous le bitume la terre étouffée tentait de crier, comme un être qu’on aurait enterré vivant. C’est un cri que personne n’entend : à s’y méprendre, il ressemble au silence. Encore quelques pas et peut-être retrouveras-tu la fissure secrète, celle que t’avait montrée en pleine adolescence l’agronome âgé : mouron rouge et liseron blanc avaient réussi à traverser la couche compacte du côté des Joncherettes. Début d’évasion. La nature reprend toujours le dessus, avait-il dit. Tu l’as cru. Mais cette fois-là : aucune fissure. Pas d’interstice. Tu dis une nouvelle fois que plus jamais tu ne reviendras là. Et la nuit, tu entends toujours le cri de la terre.