Depuis la Noël, ça lévite dans le village. Au début, on aurait dit un coup monté. Le maire, bien sûr, avait commencé. Ce gros bonhomme s’était envolé comme une montgolfière, tout sourire, devant tout le marché, histoire que personne ne rate le spectacle. Peu de temps après, l’adjoint, maigre comme un clou rouillé, s’était mis à flotter aussi, suivi par le conseil municipal au grand complet. Une belle brochette de hauts placés qui prenaient encore plus de hauteur qu’à l’habitude.
Mais pendant que ces bons messieurs faisaient des pirouettes dans les airs, en bas, les pauvres, eux, restaient fermement accrochés au sol. On les voyait continuer à bêcher leurs jardins, malgré le gel et l’absurdité qui s’étirait au-dessus de leurs têtes. « Bah ! Qu’ils s’amusent à faire les grues , moi j’ai mes patates à rentrer, » marmonnait Marguerite, la doyenne, en plantant son poireau d’un coup sec dans la terre.
Dans le bas du village, personne ne parlait magie, extraterrestres ou fin du monde. Ici, on parlait chou-rave, pomme de terre et plantes médicinales. Les pieds bien ancrés dans la boue, les pauvres continuaient à gratter la terre, se passant des théories célestes pour des recettes bien plus utiles. Marguerite connaissait encore toutes les astuces des anciens : les plantes guérisseuses, les décoctions contre le rhume ou même les cataplasmes qui faisaient baisser la fièvre. « Les grands léviteurs là-haut, ils se sont envolés si haut qu’ils ont oublié que tout ce qu’il leur faut est sous leurs pieds, » disait-elle en préparant une infusion de millepertuis.
Alors que le maire planait, toujours aussi fier de sa rondeur flottante, ici-bas, personne n’avait le temps pour ces enfantillages. « Quand eux autres et les impôts s’envolent, c’est là qu’il faut bêcher deux fois plus, » disait Henri en plantant ses oignons. « Les radis n’attendent pas qu’on redescende. »
Plus la maladie de la lévitation s’étendait dans le village, plus les pauvres plantaient, creusaient, récoltaient. Il fallait bien vivre pendant que les riches faisaient leurs galipettes dans le ciel. Marguerite répétait souvent : « Mieux vaut avoir les pieds dans la gadoue que la tête dans les nuages. Ceux qui flottent finiront par retomber, et quand ils le feront, ils auront bien faim. »
Un matin, alors que la moitié du village s’était élevée au-dessus des toits, les pauvres, eux, étaient penchés sur leurs petits jardins, à l’ombre de l’église. Marguerite, observant ces ballons humains tanguer dans le ciel gris, lâcha un soupir. « Eh bien, si ces idiots retombent, au moins, j’aurai de la consoude pour soigner leurs bosses. »
« Les grands léviteurs là-haut, ils se sont envolés si haut qu’ils ont oublié que tout ce qu’il leur faut est sous leurs pieds, » disait-elle en préparant une infusion de millepertuis. » Elle est gentille et serviable Marguerite, je trouve… J’aurais plutôt envie de les désouder du ciel que de m’occuper de leurs bobos de bobos avec ses remèdes à l’allantoïne cicatrisante… Ton texte est drôle et caustique à souhait. Plaisant à lire. Merci ! Je pense aux dessins de Jean – Michel Folon…
La consoude ne soigne pas des bosses du ciel. Elle soigne ce qui s’est fracturé. Qu’on soude, consoude. Ce texte est drôle et résonne avec ce qui se passe par chez moi, un maire en lévitation au-dessus de son aérodrome et de ses tapis volants qui coûtent cher en kérosène qui retombe sur le poireau que Marguerite a planté avec force et rage. J’ai ri jaune, mais j’ai bien ri.
Ah et merci pour ce texte très drôle. Ca me permet de continuer ma fiction avec ma Marguerite à moi. Ce sera beaucoup moins drôle mais ça me remet de l’ordre dans mon texte.