#écopoétique #03 | ne plus

À commencer par un pas, puis deux, puis trois. Trois pas seulement depuis le palier de la porte et déjà la poussière de terre m’appelle de ce cri qui résonne sourd. Des aiguilles de pins tapissent le chemin, l’air s’échappe d’un été finissant, odeur de sève, de thym, d’automne. Sous l’herbe jaune, quelques pousses nouvelles verdurent timidement. Les pierres ont la forme de celles qui roulent sous mes pas, usées par les semelles. Mes traces.

À commencer par dix pas, vingt, trente. J’avais voulu planté quelques tomates et des salades. Carré de potager bien aligné, plants sur tuteurs, arrosage enterré. J’attendais la rougeur mûre, le corps charnu, les feuilles frisées ouvertes. Le sanglier aussi. Il m’a devancé, a tout dévoré, a tout remué. Je l’entends encore me remercier. J’ai construit un carré de potager surélevé, quelques traverses de bois, du terreau. Les escargots ont apprécié, les oiseaux aussi. La nature a gagné, je mange les tomates et les salades du jardin des autres. Mes traces s’effacent.

À commencer par Rainer Maria Rilke.« Il fallut donc commencer par écarter de soi les choses pour devenir capable par la suite de s’approcher d’elles de façon plus équitable et plus sereine, avec moins de familiarité et un recul respectueux, car on ne commençait à comprendre la nature qu’à l’instant où on ne la comprenait plus ; lorsqu’on sentait qu’elle était autre chose, cette réalité qui ne prend pas part, qui n’a point de sens pour nous percevoir, ce n’est qu’alors qu’on était sorti d’elle, solitaire, hors d’un monde désert… » Jardin trompeur, mirage, voile de conscience. Je voudrais que mes traces s’effacent.

À commencer par m’éloigner. Sortir du jardin et marcher. Sur le bitume, le sable, le rocher. Marcher sans savoir sur quoi je marche, ce que je suis, ce que je veux. Marcher sans marcher, sans courir, sans avancer le pied ni l’autre. M’éloigner de moi. Ne plus laisser de traces.

À commencer par caresser le monde. Le sentir sous ses doigts, comprendre sa palpitation, sentir son souffle. Puis enlever les doigts et le sentir toujours. Ne plus réfléchir et comprendre encore. Ne plus rien sentir. Ne plus être. Mes mots s’effacent à leur tour. Ne plus écrire.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

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