A l’origine, le jardin de ma grand-mère, le jardin dont on faisait le tour à chacune des visites ; pendant les vacances, c’était plusieurs fois par semaine. Elle disait, hier j’ai terminé de bêcher, demain je sème les radis, va falloir que je desserre les salades. Oh tu as planté les tomates ! Oui c’est la voisine qui m’a donné les plants, tu sais celle, dont tous les mois je coupe les cheveux du mari, bientôt elle me donnera le pot de miel annuel. C’est un peu comme du troc. On l’écoutait avec attention, on regardait les légumes pousser, tiens là deux asperges qui pointent, on les ramassera ce soir. On regardait les fleurs s’épanouir dans les massifs fleuris à plusieurs endroits du potager ou le long des allées. Au milieu, des soucis, des pâquerettes, myosotis et pensées, il y avait les dahlias. Majestueux, ils dominaient les massifs de plantes plutôt rampantes. Le dahlia, une fleur passée longtemps de mode, méprisée, la fleur du jardin populaire, que l’on revoit aujourd’hui dans des jardins prestigieux, appréciés à juste titre. Je me souviens de leurs couleurs éclatantes, des rouges, oranges, jaune vif, blanches et mes préférées les bicolores, bordeaux et blanc ou orangé et rouge. Parfois on cueillait des bouquets, mais on préférait les voir s’épanouir dans le jardin. Elles sont mieux en pleine-terre, elle disait.
Au printemps, elle sortait les cactus et autres succulentes sur un petit muret de pierre au soleil une bonne partie de la journée ; le jardin prenait un petit air méditerranéen et ça nous plaisait.
A l’entrée du jardin, on était accueilli par un parterre fleuri, vrai patchwork fleuri qui avait gagné à chaque visite quitte à se développer sur l’allée. Elle disait ça à encore troché dans l’allée. Ça pousse tout seul, je les arrose c’est tout, désherbe un peu, mais ma terre est tellement bonne, je maîtrise plus rien. Mais c’était ce qu’on aimait dans son jardin, qu’elle ne maîtrise pas, elle le savait. Les récoltes étaient abondantes – carottes, pommes de terre, navets, choux, courges, haricots verts, petits pois, épinards, blettes, oignons, cerfeuil, persil… – mais le jardin n’était pas au carré. Rien n’était vraiment aligné. Les lignes de haricots rejoignaient presque au loin les lignes de pommes de terre.
On regardait la parcelle du jardin du voisin avec un certain mépris. Tout était droit, aligné, au carré. Les lignes de culture étaient d’un parallélisme redoutable. Si on se mettait dans un angle, on lisait clairement les obliques. Elle, ça l’énervait autant de maniaquerie, à quoi ça sert, les légumes n’en sont pas meilleurs, elle disait.
Nous, de loin, on préférait le dessin du jardin de la grand-mère qui lui ressemblait tellement, pas de temps à perdre pour planter droit. Allez hop, faut que ça aille vite. Elle traçait une ligne à la binette, sans s’aider d’un cordeau, ce serait trop long, se déplaçait ensuite le long de la ligne tracée pour semer les graines.
Derrière le potager, il y avait les cassis et les mûres pour le sirop et la liqueur, les framboisiers pour les glaces. La rhubarbe pour les confitures, compotes et tartes. Puis le verger, les mirabelliers, pommiers, et les cerisiers, nous les enfants, on préférait les cœurs, elle les montmorency, plus acides mais avec un goût de cerises plus prononcé, elle disait. Elle les faisait vieillir dans de l’alcool, à la fin des repas de fête elle sortait le bocal, la petite louche et les verres évasés et demandait, des cerises dans la liqueur, pour qui ?
Plus loin, il y avait une petite parcelle en prairie. A la mort du grand-père, c’est elle qui fauchait. Je la revoie avec la pierre de remoulage affûter la lame, puis d’un geste ample et assuré faucher l‘herbe. Elle servirait une fois sèche aux clapiers des lapins. Derrière les clapiers, le poulailler avec les poules naines, où on allait ramasser les œufs nains.
Ces souvenirs toujours je les garderai en mémoire même s’ils datent des années 70/80 du siècle dernier, et je poursuivrai l’écriture du portrait de la grand-mère poète de la terre et du jardin.