Mais avant tout sans doute, il y a le figuier au coin de ce jardin le long du chemin. Il a poussé quelque temps avant d’être aperçu, d’être reconnu. Ses racines s’épaississent, percent à travers les jointures du mur de pierre, peut-être réussiront-elles à le repousser lentement, une pierre par ci, un caillou par là. Est-ce que le mur disparaîtra si elles persistent plusieurs années?
Au printemps les branches nues se couvrent de petites excroissances. Les feuilles suivent, elles grandiront jusqu’à la taille d’une paume de main. Les fruits apparaissent aussi, très tôt mais ils resteront verts, ne muriront pas malgré l’ensoleillement. Ils resteront accrochés, immangeables. D’années en années les racines progressent, les feuilles se multiplient. Les fruits restent à l’état de gousses vertes, pourries à la fin de l’été.
Ce figuier solitaire n’appartient à personne, ses fruits auraient pu être attendus patiemment avant d’être cueillis à pleine maturité. Dégustés les yeux fermés pour percevoir leurs goûts de miel. Ces fruits auraient pu être glanés par les passants du chemin. Le glanage est interdit, il faut attendre que le fruit soit tombé au sol. Ce figuier ne laisse choir que des fruits secs et pourris. Ils sont testés toutefois par les promeneurs, chaque année, pour le cas où cette année le figuier aurait voulu leurs permettre de se souvenir du goût de ce fruit, devenu un produit de luxe.
J’ai entendu dire que les propriétaires du jardin à l’autre bout du chemin se plaignent d’avoir trop de fruits dans les deux figuiers au milieu de leur pelouse. Les figues mûres à point s’écrasent sur le sol. Personne ne peut les ramasser.