#écopoétique #03 | Dans mon jardin il y a…

Dans mon jardin il y a… de l’air. Il suffit d’ouvrir la porte d’entrée, la porte-fenêtre de la cuisine, la baie vitrée de la salle à manger, la fenêtre du salon ou d’une chambre, et voilà, on a vue sur le jardin, et on a l’air, on a le ciel. Quel que soit le temps, il y a toujours de l’air. Et le ciel est toujours là, plus ou moins bleu, plus ou moins bas. Même quand on referme. Si l’air ne passe plus, il y a encore la lumière.

Dans mon jardin il y a… des fleurs. Toutes sortes de fleurs que je ne connais pas bien. Il y a des fleurs… sauvages. J’aime bien le compagnon blanc. Mes préférées ce sont les orchidées. Les grandes mauves du printemps qu’on essaie d’éviter avec la tondeuse. Les petites blanches avant l’été, qui passent sous la lame. Il y a aussi des fleurs… domestiques ? Juste quelques mètres carrés à côté de l’entrée. Un petit jardinet où l’on a planté des tulipes, des narcisses, des jonquilles, des lys, des fleurs des champs pour les insectes volants. Et du muguet que j’ai pris dans le bois et que j’ai transplanté. Il a bien pris sous le laurier rose, au pied du mur. Ça doit être une façon de faire revivre le petit jardinet de Lulu, garni de muguet au pied du mur de la véranda. Il y avait comme un petit chemin de terre au milieu. Et on a fait ça aussi dans notre jardinet, un petit chemin sinueux entre les fleurs et quelques grosses pierres. Un petit chemin d’éclats d’ardoise bleu-gris, comme un petit cours d’eau en fait. Il y a des fleurs comme ça dans mon jardin, et… quelques herbes folles. Je me souviens avoir essayé d’écrire une petite chanson pour ces fleurs et ces herbes, « Au pied de mon mur ». Il y avait… un premier couplet pour les plantes connues : les grands bâtons de lys vite passés, la bourrache velue à fleurs bleues délicates, les frêles calices de coquelicots, l’invasion de nigelles de Damas à œil bleu ciel, la menthe et le liseron rampants, le laurier rose bouchant la vue de la fenêtre. Il y avait… le deuxième couplet des plantes aux noms inconnus : une aristide à crêtes punks ; du trèfle blanc en pompon ; de la luzerne cultivée à fleurs mauves, dite aussi grand trèfle, foin de Bourgogne ou alfalfa ; du campanule à feuilles rondes, de la vipérine arbustive ou du buglosse des champs, en tout cas des trompettes en étoiles violettes ; des liondents ou des crépis jaunes, sûr des composées dont font partie les pâquerettes et les pissenlits ; une vergerette ou érigéron du Canada sans fleurs ; du réséda sans rose mais jaune ; du compagnon blanc à cinq pétales découpés en deux lobes ; du millepertuis perforé ; l’amélanchier qui a bien grandi, planté sans connaître son nom ; un beau panicaut sauvage que papa appelle « pain chaud ». Il y avait aussi… troisième petit couplet, des plantes passées, cachées : quelques plantes à bulbes, tulipes et narcisses. Et puis un quatrième couplet difficile, pour les différentes espèces d’herbes : un couplet vide. J’aurais pu essayer un dernier couplet pour les pierres et les cailloux. Un déplacement, un regroupement, un agencement, et c’est un paysage en puissance qui éclôt peut-être entre les mains.

Dans mon jardin il y a… la maison. La maison au milieu du jardin. Quand on fait le tour du propriétaire, comme on dit (d’autant que je ne suis pas propriétaire), on fait toujours un tour dans le jardin. Le jardin fait tout le tour de la maison. Alors quand on reste dedans, portes et fenêtres closes, quand le temps ne se prête pas à aller prendre l’air dans le jardin, c’est quand même cet air-là qui s’infiltre dans la maison, par les petites grilles d’aération. L’air de la maison, c’est toujours l’air du jardin. De l’air par filets au moins, quand le ciel s’assombrit.

Dans mon jardin il y a aussi… des arbres. De vieux arbres, là depuis longtemps, bien avant que la maison soit implantée. Deux pommiers, trois poiriers, deux noyers, un amandier, des pruniers. J’ai planté deux pêchers, un olivier, des althéas, un laurier rose. Il y a aussi, au pied d’un mur des voisins, une aubépine que je taille pour essayer de lui donner la forme d’un arbre, pas d’un gros buisson piquant, un figuier au pied d’un autre mur que j’ai entretenu jusqu’à ce qu’ils le coupent (mais des rejets repoussent déjà), et une haie de lauriers palmes que j’essaie de contenir. Et il y a sur chaque arbre, même les plus récents, des lichens, des mousses. Beaucoup de mousses, le sol en est tapissé.

Dans mon jardin il a… que d’eau ! Il faut dire qu’il a beaucoup plu aujourd’hui. L’herbe est bien verte et dressée sur ses brins. Les branches des arbres plient. Le laurier rose vient toquer à la fenêtre, laissant sur le rebord quelques pétales vite décomposés.

Dans mon jardin il y a… un carré potager. Un carré en bois d’un mètre de côté. Un carré symbolique pour cinq pieds de patates desséchés. Cinq pieds de grenaille à frire pour mettre la main à la terre. Le tracteur la retournait, quatre ou cinq sillons d’un coup, on remplissait des seaux de grosses et de petites patates, des jaunes, des grises, des roses et des pourries à laisser dans le champ. Un carré symbolique pour trois pieds de tomates. Même pas de plants, ils ont poussé seuls, comme les patates, mais ils sont tout juste en fleurs. Des petites fleurs jaunes, en étoile. Si le temps s’y prête, il y aura des tomates. Ça peut aller loin dans la saison, si le temps est là. Ça allait loin parfois, ça durait longtemps. Surtout avec dix mille pieds répartis sur trois parcelles. Ça en faisait des rangs, ça en faisait des lignes de fil de fer à ajouter pour attacher les plantes. Pour aller d’un bout à l’autre, je prenais mon vélo. Et le soir, jusqu’à la tombée de la nuit, l’été, à nettoyer une à une les tomates, à les calibrer, à empiler les caisses sur la remorque. À jeter les culs noirs dans des cageots.

Dans mon jardin il y a… des vers. Beaucoup de vers de terre qui font de nombreux turricules sur le sol. Un vrai champ de mines.

Dans mon jardin il y a… un chat blanc avec beaucoup de poil. C’est le chat du voisin, M. Léger, qui porte mal son nom. Et le chat porte mal son blanc. Son poil long et fin est toujours un peu sale, gris. Quand on l’aperçoit traverser le jardin, du coin de l’œil, on peut avoir l’impression qu’un fragment de nuage passe. Dans mon jardin, il y a aussi un chat noir, je ne sais pas d’où il vient. Je ne où il est allé, je ne l’ai pas vu depuis longtemps. Le chat du voisin non plus. Mais tous les jours, j’aperçois… des nuages.

Dans mon jardin il y a… le coussin pierre, allongé au pied du thym. Un beau sac de ciment pétrifié que mon père m’a offert.

Dans mon jardin il y a… des oiseaux. Des étourneaux, ces oiseaux de malheur qui nichent dans tous les recoins du toit, sèment des brins d’herbe, des bouts de bois et chient sur la terrasse. On les voit parfois en troupeau au petit matin, avec des moineaux, picorer des vers ou des insectes. Et dans le tas, on peut trouver une poignée de pigeons. Une fois, il y a eu un faisan. C’était la période de la chasse, je ne l’ai pas dérangé. Il avait l’air de trouver de quoi manger, il devait sûrement avoir besoin de retrouver des forces pour échapper aux fusils. Une autre fois il y a eu deux tourterelles, un joli couple posé sur une branche de pommier, immobile. Une fois, dans la niche ouverte du volet roulant de la fenêtre de la cuisine, il y a eu un verdet et un rouge-queue pour le même nid, mais à des époques différentes. Lequel avait pris la période du printemps, l’autre de l’été ? C’était des oiseaux de bonheur ? Et puis une fois… une chouette, une chevêche que je n’ai jamais vue que furtivement, la nuit, une ombre en vol. Mais si on ne la voyait pas, on l’entendait bien. On l’entendait ici, on l’entendait là. Et puis là-bas. Et comme ça toute la nuit. Elle allait et venait, s’approchait, s’éloignait. Un balancement.

Dans mon jardin il y a… les bornes de terrain dont les plaquettes orange ont cassé. Avec le temps, elles ont été recouvertes de terre et d’herbe. Un jour, il s’est fait prêter un détecteur de métaux pour les retrouver. Il connaissait à peu près les endroits où elles se situaient. Ils les a toutes retrouvées et dégagées, sauf une. Dans mon jardin il a… des plantes sauvages. J’en connais quelques-unes, des douces comme le pissenlit et des dures comme le chardon, mais la liste doit être plus longue que je ne l’imagine et doit comporter beaucoup de noms inconnus.

Dans mon jardin il y a… de la terre, des zones vides dans l’herbe, des espaces vierges de toute végétation. Pas beaucoup, mais c’est comme si rien ne pouvait pousser. Sauf quelques turricules qui se colleront sous la semelle, de la terre qui finira sur le tapis, quelques traces jusque dans la cuisine. Et voilà comment : « Tu pourrais quitter tes chaussures !  — Mais c’est pas moi, c’est jardin ! »

Dans mon jardin il y a encore… le romarin, acheté en godet un jour de marché aux fleurs de l’association de parents d’élèves, un premier mai à l’école. Il a grandi dans un pot en grès et il a été planté sur un amas de cailloux, ou presque, contre un petit pan de murette récupéré on ne sait où. Le romarin s’y est beaucoup plu, il recouvre aujourd’hui l’amas de cailloux et le pan de murette. Une branche tente même de se redresser comme un arbre. À quoi rêvent les plantes rampantes ?

Dans mon jardin il y a… la vieille tondeuse, bientôt vingt ans, qui manque de plus en plus souvent de s’étouffer quand vient le printemps.

Dans mon jardin il y a… de petites couleuvres. Chaque année, en septembre, par une journée ensoleillée, on en aperçoit une qui se réchauffe sur la terrasse. Il suffit d’ouvrir et se s’approcher pour qu’elle fuie dans le jardin. Je l’accompagne en la suivant jusque dans le jardin du voisin.

Dans mon jardin il y a… le puits, couvert d’une chape de béton. Un grand cercle gris dans la pelouse. Et une fosse de récupération d’eau, pas assez enterrée, qui fait un grand rectangle gris. On a essayé de les masquer avec des compositions de pierres plus ou moins grosses et du sable ou du paillis d’ardoise, mais ces espèces de micro-jardins minéraux ne sont pas plus faciles à entretenir que les autres. Avec le temps, les pierres noircissent, tombent en morceaux, et le sable et l’ardoise se couvrent de lichens et forment un bon terreau pour des plantes sauvages.

Dans mon jardin il y a… des gendarmes, parfois tout un tas, agglutinés les uns sur les autres, accrochés à un tronc d’arbre. Mais pourquoi ? Il y a aussi… des fourmis dans de petits tas de terre granuleuse, des araignées formant des toiles dans les branches, des punaises qui, une année, ont moucheté les murs, des papillons et des abeilles autour des fleurs, des guêpes, des frelons, friands des poires et des pêches pourries, des moustiques, des mouches vertes, des escargots, des gros ronds cachés sous les feuilles, des petits à coquille pointue qu’on écrase sans le vouloir sur la terrasse. Il y a eu des frelons asiatiques, mais il ne reste plus aujourd’hui que le nid, caché dans le recoin d’une fenêtre de hangar sous des feuilles de lierre.

Dans mon jardin il y a… des déchets. Des déchets métal. Des déchets béton. Des déchets plastique. Des déchets coton. Des déchets caoutchouc. Des déchets polystyrène. Des déchets bois. Des déchets carton. Des déchets nylon. Des déchets verre. Des déchets papier. Des déchets essence. Etc. Rien de massif, mais de temps en temps, un petit fragment. Qui vient d’où ? Arrivé là comment ?

Dans mon jardin il y a… que si la lumière du soleil est souvent belle, elle est parfois trop dure l’été : de la verdure quand vient l’automne, il ne reste qu’un tapis de paille prêt à s’embrasser.

Dans mon jardin il y a… des coquilles de petits œufs. Parfois, un œuf bleu ciel, piqué de taches brunes. C’est un œuf d’étourneau, mais j’aime croire qu’il s’agit d’un œuf du ciel.

Dans mon jardin, la nuit, il y a… des lucioles, ou vers luisants.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

4 commentaires à propos de “#écopoétique #03 | Dans mon jardin il y a…”

  1. « Un jardin d’air » ( et non de courants d’air) de merveilles et de désastres qui est trop complet pour être vrai. Et pourtant on y croit à tout ce qu’on pourrait y trouver avec défense de défricher ou de tricher… Silence ça pousse…Halte là ! Ceci n’est pas une décharge publique… C’est le coussin-pierre qui donne sa note incongrue et poétique à ce texte très réussi (surtout le deuxième paragraphe que j’aurais aimé voir prolongé). Si ce jardin contrarié existe, il nous faudrait le visiter (pour signer une pétition) ou en voir des photos. Merci Will pour ce moment de lecture agréable.

    • « Contrarié », ça doit être le mot que je cherchais pour un véritable titre. D’autant que j’ai oublié de parler de l’olivier, des ballons, de l’odeur de l’herbe coupée, des étoiles, etc. — Merci Marie-Thérèse

  2. Un jardin plein de vie, prêt à raconter des histoires, rien ne manque et je m’y promène avec grand plaisir. Merci beaucoup Will pour ce moment de lecture où les mots réveillent d’autres jardins.

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