Je n’ai pas reçu la main verte en héritage. Mais le regard, oui.
Maison quasiment adossée aux jardins ouvriers qui germinent sur les pentes sud de la colline de Montaud. Lazarets de verdure où reprendre souffle, tout en voyant la ville, ses routes qui la ceignent, les rues qui la perforent, la pollution qui s’en échappe, et, plus loin, dans un horizon d’appel les collines d’un autre possible. Là, à quelques pas d’où je vis, les jardins où contempler un monde dont je ne sais pas grand chose. Où, selon l’heure où je les effleure, s’activent ceux et celles qui aiment triturer la terre, arroser laitues, haricots ou potirons, papillonner leurs doigts autour de pétales blancs ou rouges s’épanouissant en lisières des parcelles. Le piochon se charge des mauvaises herbes, celles qui ont droit de cité dans le jardin qui entoure ma maison et que je laisse folâtrer comme mes idées. Sur le sentier qui sinue entre les jardins ouvriers, on se salue avec un sourire ou un bonjour franc, et sûre que si je rencontrais les mêmes personnes sur le trottoir cinquante mètres plus bas, nos regards ne se croiseraient pas. C’est un petit coin de campagne au sein de la ville, un petit coin où l’on se comporte encore comme dans un village.
Ces îlots de terre tous reliés, mais en partage, avec pour chacun la fleur préférée, le légume incontournable, et quelque clin d’œil d’originalité avec un épouvantail revêtu de beaux atours, plus pour attirer le regard du passant et engager la conversation que pour effrayer les oiseaux. De grands éclats de ciel pour regarder passer les heures quand la fatigue prend. À terre, la grammaire horticole, celle que je n’ai pas apprise, une langue colorée de tons de gris et de verts, les signes du temps qu’il faut pour qu’une graine s’épanouisse en fleurs d’images, en fruits d’émoi.
Comment oublier cette période du confinement avec le kilomètre autour de chez soi pour exorciser ses craintes? Tous les jours j’arpentais le sentier qui sinue entre les jardins ouvriers. Jamais mes yeux ne se sont posés avec autant d’ardeur en regardant la terre, cherchant à détailler chaque plante, chaque hampe, chaque branche. Une nécessité de se reconnecter avec la nature. Au bord d’un monde dont on ne comprenait plus rien, se confronter à l’intimité de la plante, au balbutiement d’une brise dans le feuillage nouveau, au ravissement d’un oiseau . Comme le lichen se cramponne au végétal ou au minéral, je m’accrochais à ces jardins comme une déracinée. Désir d’un contact qui n’était plus admis. Il fallait des jardins pour bleuir les horizons bien sombres. Une nouvelle boussole pour inventer les jours.
« À terre, la grammaire horticole, celle que je n’ai pas apprise, une langue colorée de tons de gris et de verts, les signes du temps qu’il faut pour qu’une graine s’épanouisse en fleurs d’images, en fruits d’émoi. » Comme j’aime cette formulation autobiographique que bien des citadin.e.s peuvent revendiquer. La méconnaissance concrète des jardins que l’on croise de moins en moins est une réelle perte de savoir-faire et de savoir-vivre au contact de la terre. Le confinement vous en a redonné le chemin, un sentier formidablement introspectif. Une bien belle écriture pour mentionner tout cela (les formes, les couleurs, les emplacements et leur éloignement). Laisser les herbes folâtrer sans se préoccuper du rendement est peut-être un moyen subtil de renouer avec la Nature embrigadée des villes… Merci pour ce moment de lecture « au vert » et ouvert sur une réflexion ce fond.
Merci beaucoup Marie-Thérèse pour ce message qui me touche.
Merci pour ces mots qui disent ce que le covid a dé-lié et re-lié, déraciné et enraciné, fermé et ouvert.
J’aime particulièrement cette phrase: « Au bord d’un monde dont on ne comprenait plus rien, se confronter à l’intimité de la plante »
« les signes du temps qu’il faut pour qu’une graine s’épanouisse en fleurs d’images, en fruits d’émoi »
c’est cela sans doute le temps de la contemplation
et je vois qu’il y a aussi des « petits coins » par chez toi…
merci Solange, pour cette magnifique promenade
et la terre, la fleur, l’oiseau nous sauveront toujours quand on les appellera à l’aide…