#écopoétique #04 | Quadrilatère








Je n’y suis jamais retourné, ou alors sans le savoir – on ne sait jamais – sans le savoir vraiment – on ne sait pas on avance : c’était un dimanche matin, tôt dans le style des six ou sept heures personne dans les rues mais le jour y était, le rendez-vous place de la Nation, début des années quatre-vingt, octobre ? Peut-être la fourgonnette, la conduisait le projectionniste de la cinémathèque universitaire, il y avait là aussi le dirlo – la chose allait fermer, avait fermé était fermée close interdite : l’usine Pathé (ou l’ex) – une espèce de commando mais je ne me souviens plus de rien, les bobines, les boites rondes, les machines, les objets qu’on plaçait là pour les emmener dans les sous-sols (au quatrième) de Tolbiac – nous étions hors-la-loi, le prof aimait l’émission « des chiffres et des lettres » descendait chez lui, trois ou quatre rues plus bas que la Michelet, celle du Cherche-Midi ou quelque chose, pour la voir puis remontait présenter en amphi quelque incunable muet (je me souviens d’une de ses frasques sur Pola Negri et ses accroche-cœurs, elle qui avait interprété une Emma Bovary) on aimait rire comme maintenant – il disposait aussi d’un studio à Cannes pour le festival (c’est de là qu’il est parti) – aujourd’hui, l’une des cours est de Lumière, l’autre est de Niepce, Nicéphore comme une remémorance, la rue est aux vignerons et les allées dédiées à Daguerre, Nadar ou Méliès (rien pour Alice Guy ou Germaine Dulac…) – je sais me souvenir que les sous-sols avaient été souillés et beaucoup, revient à la mémoire une maternelle ou une crèche – quelque chose de l’industrie, des luttes des exhortations des batailles des cris et des rires à nouveau – ou alors je fabule, mais ce moment-là, oui, on appelait ça « le grand frère jaune » cette fabrique de pellicules, ou alors simplement son pied-à-terre français, on allait au cinéma quatre fois par jour, en courant pour ne pas manquer la séance – cet endroit de la ville, derrière le périphérique, à l’est, que j’avais été visiter pour me faire porter grand malade quelques années plus tôt, mon asthme ma respiration – il y a là un hôpital des armées, ce sont des immeubles neufs qui ne doivent plus l’être complètement, on ne bâtit plus pour durer, il n’y a pas trace de commerce : un îlot d’habitation, des trois ou quatre étages avec balcons, hors de prix évidemment – une opération immobilière, je vois qu’elle a été terminée/entreprise en 1987 avec la démolition de la cheminée – nous étions très hors-la-loi, y a-t-il prescription ? Aujourd’hui, je regarde cette culpabilité que nous aurions (non, mais non, aucune) de laisser aux suivant.es un monde dans un tel état de déliquescence approfondie, celui que laissaient les parents des nôtres était-il moins affligeant ? Aujourd’hui, je regarde, un exemple au hasard, les arbres qui bordaient le tracé d’une autoroute dédiée à une sommité de la pharmacie et du parfum ranci, et le monde est tellement le même, tellement semblable avec ses affaires, et la jouissance malheureuse que nous tirons des prévisions d’effondrement, ce quelque chose d’historique que nous avons l’honneur de revendiquer – je ne sais plus, le projectionniste doit couler quelques jours heureux dans une campagne, le Limousin ou la Creuse, je sais que ce prof est décédé, voilà un moment – ce quadrilatère réservé, fermé de grilles, des toponymes furieusement culturés (ce ne sont pas des fleurs, non) – le pays du cinéma

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

Laisser un commentaire