Il a pris le chemin de la gare assez tôt ce matin pour profiter de la journée. L’air sent la pluie. Début mai déballe ses nuages. Le vent s’engouffre dans la voie. Pourtant, il manque d’air pour porter ses mots : le chemin est long depuis Paris. Il craque ses doigts en s’installant sur son siège de RER. Ses yeux, happés par le paysage, fuient au-delà du présent. Les voyageurs chuchotent entre eux puis s’assoupissent : ils n’ont pas de pensées bouleversées. Il est trop tôt pour dormir, il faut rester vigilant. Un premier changement, pour le métro. Il avance au pas. On s’enterre vivant, on s’enferme dans des caisses pour gagner du temps. L’énonciation morne des stations déblatère à l’infini. La rame se remplit doucement des fêtards. Ils repartent en arrière. Les odeurs et les témoins d’hier se superposent : des cadavres de bouteille, une chaussure interloquée d’être ici, quelques mégots jetés à l’improviste. À cette heure-ci, la nuit, prends de la place dans les allées. Le parcours continue.
Gare de Lyon s’agite doucement. L’horloge siffle les heures. Dans le train, les secondes prennent leurs temps. L’ambiance change doucement, la pression monte petit à petit. La peur reste sur le ventre par contre, bien installé au niveau de l’abdomen : jusqu’à la nausée estomaquée. Dans sa tête, ça hurle le manque de saveur du quotidien. Son petit-déjeuner fait des siennes. Des relents de cafés froids remontent le long de son œsophage. Il enfonce ses écouteurs pour ne pas s’entendre penser.
Ralenti par le poids des passagers, le train décélère à chaque virage. À l’horizon, les fumées grisâtres s’échappent pour se confondre avec l’oxygène inhalé. Les immeubles noirs respirent dans l’air citadin, les grues travaillent au changement. Les éoliennes roulent des épaules sous les nuages effrités. Les éléments verts s’allongent dans le paysage liquide. Tout coule sur lui aujourd’hui.
Sa femme lui a proposé de l’accompagner : il y a des chemins qu’il faut refaire seul. Elle a compris. Le trajet de la voie ferroviaire est bordé de fils électriques comme le fil d’une pelote de laine. Son voisin le regarde sous ses lunettes sans vraiment que ça soit discret, il enferme les mots dans des cases croisés. C’est rassurant de le voir capturé des maux et se pencher sur des concepts. Ça y est, tout s’arrête. Il sort du train en faisant bien attention de ne pas tomber dans le vide entre le marche – pied et le quai. Il faut continuer en se pressant un peu même si la fatigue psychologique lui coupe les jambes.
Il a reçu hier soir un appel. C’était le discours pré-maché d’un diagnostic. Un discours de psychiatre à base de déséquilibre hormonal et de dissociation corporelle. Des mots absurdes pour décrire la personne aimée. Des mots toujours trop décalés pour un lieu aseptisé. Aller la voir, maintenant, c’est faire un aller-retour dans la folie. Quand il arrive, c’est la fin de la matinée.
L’angoisse monte au fil des mots