et la silhouette de sa soeur souplement courbée sur son téléphone comme sur un secret contre le bleu mauve découpé par le fenestron de cette pièce sous le toit dans le crépuscule qui descendait sur le jardin de Nyons ravie de comprendre au petit cri de joie suivi d’un roucoulement de brèves questions d’un bredouillis attendri et de conseils machinaux que le dernier des petits enfants était né et au moment où le regard joyeux a quitté le coin de ciel pour se tourner vers l’intérieur de la maison en la cherchant elle a devancé la question devinée pour dire que bien sûr cela changeait leur programme et qu’elles devaient repartir le lendemain matin d’autant plus qu’elle était certaine elle d’avoir trouvé le point de chute idéal dans l’après-midi et elle souriait de partager cette joie en taisant l’idée de la petite chambre parisienne devenue presque sordide à force d’être utilisée plus qu’habitée et de la fenêtre au rideau déchiré donnant sur un étroit puits noir qu’elle allait retrouver sans trop de crainte puisqu’elle était certaine de ne plus le fixer pendant des heures ce bout de dentelle grège son crâne vide refrénant en cherchant le sommeil l’image de son corps s’écrasant sur le ciment et c’est nettoyée elle en était sûre de ses stupides démons qu’elle a suivi la nuque énergique et les courtes boucles blanches qui dansaient de plaisir dans l’escalier et jusqu’à la grande cuisine où pendant que de l’autre côté de la vitre la nuit tombait sur la rue du village déserte en ce début d’automne elles se sont bricolé un petit dîner en faisant tournoyer dans leur conversation désordonnée les jeunes couples et leurs enfants mais le lendemain matin dans la voiture ce sont celles qui les avaient précédées qui se sont invitées quand une phrase de l’aînée qui parlait un peu pour faire du bruit et lutter contre le sommeil les yeux sur le pare-brise dans le vague du défilement des nuages légers flottant au dessus de l’autoroute dans le bleu pale a dessiné une autre tête bouclée de ce bleu que les coiffeurs de l’époque conféraient aux cheveux des vieilles femmes encadrée par le dossier d’une bergère recouverte d’une soie passée à côté de la porte-fenêtre ouverte sur les volutes de la rambarde de fonte d’un étroit balcon pendu sur la nuit d’une rue aux façades marquées par le souvenir de la suie des trains du Pont-Cardinet tentant de rendre vie à l’image de cette tête au maquillage mal posé penchée presque jusqu’à poser les loupes lui tenant lieu de lunettes sur un album de photos ouvert sur ses genoux et à la voix presque acidulée jeune comme l’étaient les fines et toujours belles jambes qui parlait de vacances à Dà-lat pendant la saison chaude qui évoquait la véranda sous cette pluie qu’elle regardait carrée avec une fausse tranquillité dans un fauteuil tressé à côté de sa charmante mais parfois légèrement exaspérante fille de dix huit ans debout à côté d’elle droite ferme silencieuse comme pénétrée de la nouvelle dignité acquise en acceptant d’épouser un aide de camp trentenaire fort digne et courtois mais légèrement ennuyeux et moyennement beau et la voix se moquait des années après de ses propres efforts maternels pour accepter cette situation se réjouissant que dès la perspective du bac effacée les fiançailles aient été rompues sans bruit comme toutes deux en s’embrassant devant la gare de RER où elles se séparaient s’amusaient avec attendrissement de cet exemple des petites poussées d’extravagance qui venaient adoucir la sagesse de leur mère et contribuaient à son charme.
»publié le 13 ou 14 août 2019
Mais quelle langue !!! J’adore.
Lyrique tout en ne l’étant pas. Très réussi.
vous me consolez… demain regarderai avec petit tremblement la 7 (juste si l’ai mérité en faisant mon repassage 🙂
(bizarrement je me disais que vous vous embrassiez là-bas, du côté de Chatou – d’où vient-ce ?) il marche bien – oui, bien
ça aurait pu être entre Bougival (Rueil), Saint Germain ou Croissy mais moi j’aurais ensuite traversé Paris et des régions étrangères
j’ai beaucoup aimé ce texte entre nostalgie et résignation
Chère Brigitte, vous abez vraiment une façon qui vous est propre de raconter des histoires avec des détails qui se glissent dans l’ensemble et on pourrait croire qu’ils y sont par hasard alors qu’ils participent activement au tableau. Comme écrit Marie entre nostalgie et resignation. J’aime beaucoup. Merci
je m’y glisse comme dans un rêve ou un album photo… ceux dont la trace délicate enracine loin.
Le charme, la grâce…
Cà y est en ai fini de mes windows je passe aux vôtres et quel tourbillon, léger comme une mousseline qui m’embarque je ne sais pas très bien où mais je sens comment mais c’est si sensible, magique ! très très beau texte