version du 15 février
ST2 / liminaire
Dans terreur, il y a terre. Cette nuit-là, j’entends : dans terreur, il y a terre.
ST4
Erre : lieu d’errance. Ton erre favorite. Comme une erreur.
ST2
Vers les trois heures, j’ai ouvert à la terreur des coupables, mon maître. La nuit avançant, à entendre ses jugements sévères, j’ai eu besoin de mordre, de mordre la poussière, et j’ai mordu la terre, sa pomme. Elle était fraîche et boueuse et je me repaissais loin des regards, avilie, les yeux sur la fenêtre ouverte à l’absence des dieux et des pierres des yeux. Dans la chambre flottait les cendres d’une fine lune. Je roulais au sol.
ST4
Atterrer. D’abord, ça a été littéralement « mettre à terre ». C’est petit à petit que s’est insinuée la notion d’abattement psychologique intense proche de l’effroi, de la stupeur, voire de la terreur qui cloue au sol et empêche de bouger. Illustration, dans l’évolution de la langue, d’un passage du concret (renverser physiquement) à l’abstrait (accabler moralement). L’évolution inverse se voit aussi (ainsi ce soir-là, cette nuit-là, le corps écoute la langue.)
ST2
Ce soir-là, cette nuit-là, la langue est de terre. Et la terre se fait langue. Et la terre se souvient de toutes les terres de la terre. Et le corps est pris par ces souvenirs de la terre. Passée à la langue, la terre en perd son orthographe. La terre n’est plus qu’ouïe. Je l’entends entendre, ça fait un grand silence qui agrandit la nuit.
ST1 ST2
Au travers des plafonds et des planchers, au travers des vides, la terre fait son travail et me supporte. Je comptais sur elle, il me semble que je la savais. N’étais-je elle. Il faisait si noir. Je laissai les invocations. Il y avait. Ce qu’il y avait. La forte présence des grands champs retournés à quelques mètres de là. Leur odeur. Les terres éventrées où je me baignais. Les volées de coups de bêche encore en mémoire. Les brèches ouvertes. Lait noir jusqu’à la nausée. Tout suintait et mes aisselles. Les cuisses de presque quel corps je dirais collaient et je tirais à moi une couverture inutile et rêche. Ne méritant plus rien, vers les cinq heures, la terre m’avait rapatriée à sa version sale de la cave, version noire humide obscure propice peut-être aux rats que je n’avais pas vus. Mais au matin tout a changé. Vous savez le changement du matin. L’astre se levait, de nulle part, du fond de la fatigue, je revenais à moi dans la douceur de la chambre aux murs roses, sous les fenêtres blanches, la juste terreur conçue de mon crime s’étant évanouie, emportée par les brumes de l’aube naissante. Dans le chant des oiseaux, je regardais la lumière arriver. Lait blanc du jour.
ST3
Quand tout l’or du monde fut installé, j’ai coulé dans les escaliers toute ma masse molle, coulée marche à marche, c’est un chat qui m’avait enseignée, vers la porte et le dehors, les escaliers encore puis la terre, enfin, la terre, la terre, enfin, dont je ne sais encore que dire tant j’étais encore moi, je dis tant j’étais encore moi-même, vous comprenez, me décidant cependant – comme me saisissaient sa fraîcheur sa dureté son étrangeté – à prendre possession d’elle, la terre, à me glisser sous le masque de son altérité. Ici, tout est difficile à dire, car la terre à cet endroit est parcourue de plantounettes fines, je les appelle ici ainsi faute de connaître leurs noms, de milliards de plantounettes où trainaient également feuilles et branches sèches, coques abandonnées de noisettes. J’étais arrivée à ce que j’avais voulu, l’oubli, sans plus, mes doigts agrippés dans la terre, j’y coulais. Vous savez bien comment on fait, on y va un os à la fois, où quelques os à la fois, et puis les muscles, les muscles par paquet, les faisceaux de muscles, le seau de la peau, sa nasse, on les confie au grave, à la gravité de la terre et on s’enfonce, on s’étale. Bref.
ST4
Se terrer : « Être terré, être couvert de terre. Se terrer, se cacher sous terre, en parlant de certains animaux. Se cacher à l’abri du danger ou vivre hors du contact avec autrui ». Mais encore : « Se mettre à couvert du feu de l’ennemi par des travaux de terre ».
ST1
Les travaux de la nuit portèrent. Je ne basculerais ce jour-là dans aucune tranchée. Je resterais beaucoup allongée assistant depuis le sol à de nombreuses joutes de lumière, de véritables tournois. Mais aucune tranchée de terre ce jour-là ne me prendrait, je ne serais alourdie d’aucun casque ni barda, j’écrirais au soleil dans le sable du bord de l’étang. Il n’y aurait ni ennui ni guerre où m’enfoncer ni ver à mâchonner. Aucun cauchemar vivant. De quelques vêtements allégée, j’aurais regardé à travers les roseaux, le chêne ployer. Aurèle aurait dit : c’est la terre à l’envers, aujourd’hui. C’était la terre à l’envers. Non que je tienne à tout prix à terminer sur une note gaie. Pour ce jour-là, c’était assez.
Codicille : Ma 2ème proposition pour l’atelier « Tarkos, 4 strates ». Premier jet écrit lisant Tarkos. Écrit au départ de ce bout de phrase qui me revenait « Dans terreur, il y a terre » que j’attribuais de façon en partie erronée à Lacan dans le séminaire 2, son travail autour du « famillionnaire », qui m’a amenée à rechercher les étymologies d’atterer. Voir : https://www.littre.org/definition/atterrer Ces recherches ont fait mes S4, qui ont guidé l’ensemble, jusqu’au bout. Je voulais de l’état de terre, me laisser guider par le « ter » de terre, de terreur et d’atterré, le ter qui résonne aussi avec le taire. Et quand j’ai visité la page de la terreur dans le Littré et que je suis tombée sur : « Il est la terreur des coupables, se dit d’un juge sévère« , le texte était lancé. (J’avoue j’avais aimé aussi : « Il y a des maladies qui atterrent jusques à nos desirs et nostre cognoissance« .) Au bout de quelques jours, une nuit, je me suis effrayée du manque de la terre, de l’artificialité de ce que j’avais écrit, de mes seuls jeux de mots, d’une écriture qui m’apparaissait finalement tellement séparée de la terre elle-même. (Il me semblait que je ne m’y laissais toucher que par des bouts de mots, des bouts de langue, rien de concret). Jusqu’à ce que je me rende compte que je me trompais, qu’il y avait bien de la terre partout, dans la langue que j’utilisais, que je ne l’avais ni trahie ni sacrifiée. Cela je le lisais chez les autres aussi. Que la terre ne s’oubliait pas. Que c’était la langue dont je voulais, la seule d’ailleurs à ma portée. Si je n’ai pas abandonné, c’est que dès le premier jet, certains passages m’ont émue. Que j’espère maintenant n’avoir pas trop gonflés. Passages secrets.
VERSIONS…
15 février, 5 heures : pas sûre qu’il faille garder paragraphe sur le « travail de la terre ». mais qu’est-ce qu’il reste, si j’enlève ça. à voir, au fond. voir si ça n’ajoute pas des mots juste pour ajouter des mots. si c’est pas de ça dont j’ai eu besoin, m’enfoncer m’embrouissailler dans une savane de mots. oui mais je risque de me retrouver sans plus rien écrit. je vérifie et j’envoie à FB. tant pis.
version du 14 février
ST2 / liminaire
Dans terreur, il y a terre. J’entends ce jour-là : dans terreur, il y a terre.
ST4
Ton erre : le lieu de ton errance. Ne dit-on pas : Ton erre favorite. Et c’est comme une erreur.
ST2
Vers les trois heures, j’ai ouvert à la terreur des coupables, mon maître. La nuit avançant, à entendre ses jugements sévères, j’ai eu besoin de mordre, de mordre la poussière, et j’ai mordu la terre, sa pomme. Elle était fraîche et boueuse et je me repaissais loin des regards, dans la chambre, avilie, les yeux sur la fenêtre ouverte à l’absence des dieux et des pierres des yeux. Dans la chambre flottait les cendres d’une fine lune. Je roulais au sol.
ST4
Atterrer. D’abord, ça a été littéralement « mettre à terre ». C’est petit à petit que s’est insinuée la notion d’abattement psychologique intense proche de l’effroi, de la stupeur, voire de la terreur qui cloue au sol et empêche de bouger. Illustration dans l’évolution de la langue d’un passage du concret (renverser physiquement) à l’abstrait (accabler moralement). L’évolution inverse se voit aussi (ainsi ce soir-là, cette nuit-là. Le corps écoute la langue.)
ST2
Ce soir-là, cette nuit-là, la langue est de terre. Et la terre se fait langue. Et la terre se souvient de toutes les terres de la terre. Et le corps est pris par ces souvenirs de la terre. Passée à la langue la terre en perd son orthographe. La terre n’est plus qu’ouïe.
ST1
Unique mouvement, raffinement suprême : tant qu’a duré la nuit de la terre aucun grain qui la terre ne hisse, qui le globe discrètement n’étire, discrètement vers l’est n’étire, discrètement vers la gauche dans l’orbite aggravé du temps. Je le dis pour qui il est utile de le préciser. Et c’est avec bonheur, car je vous parle ici de la terre en chacun de ses grains, chacune de ses particules, qui connaît le feu du centre et la surface de l’air, du grand air et de toutes les aires. Cette terre est sainte, s’il en est, autant vous le dire, en effet. Elle, nulle autre.
ST1 ST2
Au matin, tout a changé. Vous savez le changement du matin. Au travers des plafonds et des planchers, au travers des vides, la terre avait fait son travail supportant mon poids au sol étalé. Je comptais sur elle, il me semble que je la savais. N’étais-je elle. Il faisait si noir. Une invocation s’imposait à moi, dans la terreur de la terre et son adoration, dans la terreur du taire et son abnégation. La forte présence des grands champs retournés à quelques mètres de là. Leur odeur. Des terres éventrées où je me baignais, ivre peut-être, les volées de coups de bêche encore en mémoire. Les brèches ouvertes, lait noir jusqu’à la nausée. Tout suintait et mes aisselles. Les cuisses de presque quel corps je dirais collaient et je tirais à moi une couverture inutile et rèche. Ne méritant plus rien, vers les cinq heures, la terre m’avait rapatriée à sa version sale de la cave, version noire humide obscure propice peut-être aux rats que je n’avais pas vus, petits yeux billes de verre. Mais au matin tout a changé. Vous savez le changement du matin. L’astre se levait, de nulle part, du fond de la fatigue, je revenais à moi dans la douceur de la chambre aux murs roses, sous les fenêtres blanches, la juste terreur conçue de mon crime s’étant évanouie, emportée par les brumes de l’aube naissante. Les grains seuls continuaient à vaquer, je regardais la lumière arriver. Lait blanc du jour.
S’éparpiller dans le chant des oiseaux. Se rassembler.
ST3
Quand tout l’or du jour fut arrivé, j’ai coulé dans les escaliers toute ma masse molle, coulée marche à marche, c’est un chat qui m’avait enseignée, vers la porte et le dehors, les escaliers encore puis la terre, enfin, la terre, la terre, enfin, dont je ne sais encore que dire tant j’étais encore moi, je dis tant j’étais encore moi-même, vous comprenez, me décidant cependant – comme me saisissaient sa fraîcheur sa dureté son étrangeté – à prendre possession d’elle, la terre, à me glisser sous le masque de son altérité. Ici, tout est difficile à dire, car la terre à cet endroit est parcourue de plantounettes fines, je les appelle ici ainsi faute de connaître leurs noms, de milliards de plantounettes où trainaient également feuilles et branches sèches, coques abandonnées de noisettes. J’étais arrivée à ce que j’avais voulu, l’oubli, sans plus, mes doigts agrippés dans la terre, j’y coulais. Vous savez bien comment on fait, on y va un os à la fois, où quelques os à la fois, et puis les muscles, les muscles par paquet, les faisceaux de muscles, le seau de la peau, sa nasse, on les confie au grave, à la gravité de la terre et on s’enfonce, on s’étale. Bref.
ST4
Se terrer : « Être terré, être couvert de terre. Se terrer, se cacher sous terre, en parlant de certains animaux. Se cacher à l’abri du danger ou vivre hors du contact avec autrui ». Mais encore : « Se mettre à couvert du feu de l’ennemi par des travaux de terre ».
ST1
Je ne basculerais ce jour-là dans aucune tranchée. Je resterais beaucoup allongée assistant depuis le sol à de nombreuses joutes de lumière, de véritables tournois. Mais aucune tranchée de terre ce jour-là ne me prendrait, je ne serais alourdie d’aucun casque ni barda, j’écrirais au soleil dans le sable du bord de l’étang. Il n’y aurait ni ennui ni guerre où m’enfoncer ni ver à mâchonner. Aucun cauchemar vivant. De quelques vêtements allégée, j’aurais regardé à travers les roseaux, le chêne ployer. Aurèle aurait dit : c’est la terre à l’envers, aujourd’hui. C’était la terre à l’envers. Non que je tienne à tout prix à terminer sur une note gaie. Pour ce jour-là, c’était assez.
*
13 février
ST2 / liminaire
Dans terreur, il y a terre. J’entends ce jour-là : dans terreur, il y a terre.
ST4
Entre nous, ton erre : le lieu de ton errance. Ne dit-on pas : Ton erre favorite. Et c’est comme une erreur.
ST2
Vers les trois heures, j’ai ouvert à la terreur des coupables, mon maître. La nuit avançant, à entendre ses jugements sévères, j’ai eu besoin de mordre, de mordre la poussière, et j’ai mordu la terre, sa pomme. Elle était fraîche et boueuse et je me repaissais loin des regards, dans la chambre, avilie, les yeux sur la fenêtre ouverte à l’absence des dieux et des pierres des yeux. Dans la chambre flottait les cendres d’une fine lune.
ST4
Atterrer: D’abord ça a été « Renverser par terre, jeter au sol ». Après un moment de lutte, il l’atterra sous lui (c’est dans Bossuet). Ce serait petit à petit que la terreur s’est insinuée dans atterrer. Ça a donné : « Jeter dans l’abattement, l’affliction, l’épouvante. »
ST1
Unique mouvement, raffinement suprême : tant qu’a duré la nuit de la terre aucun grain qui la terre ne hisse, qui le globe discrètement n’étire, discrètement vers l’est n’étire, discrètement vers la gauche dans l’orbite aggravé du temps. Je le dis pour qui il est utile de le préciser. Et c’est avec bonheur, car je vous parle ici de la terre en chacun de ses grains, chacune de ses particules, qui connaît le feu du centre et la surface de l’air, du grand air et de toutes les aires. Cette terre est sainte, s’il en est, autant vous le dire, en effet. Elle, nulle autre.
ST1 ST2
Au matin, tout a changé. Vous savez le changement du matin. Au travers des plafonds et des planchers, au travers des vides, la terre avait fait son travail supportant mon poids au sol étalé. Vers les cinq heures, d’ailleurs, elle m’avait rapatriée jusqu’à sa version sale de la cave, version noire humide obscure propice peut-être aux rats, que je n’avais pas vus. Mais au matin tout a changé. Voilà que l’astre maintenant se levait et je revenais à moi dans la douceur de la chambre aux murs roses, sous les fenêtres blanches, la juste terreur conçue de mon crime s’étant évanouie, emportée par les brumes de cette aube d’été. Les grains seuls continuaient à vaquer, je regardais la lumière arriver. Je buvais.
ST3
Quand tout l’or du jour fut arrivé, j’ai coulé dans les escaliers toute ma masse molle, coulée marche à marche, c’est un chat qui m’avait enseignée, vers la porte et le dehors, les escaliers encore puis la terre, enfin, la terre, la terre, enfin, dont je ne sais encore que dire tant j’étais encore moi, je dis tant j’étais encore moi-même, vous comprenez, me décidant cependant – comme me saisissaient sa fraîcheur sa dureté son étrangeté – à prendre possession d’elle, la terre, à me glisser sous le masque de son altérité. Ici, tout est difficile à dire, car la terre à cet endroit est parcourue de plantounettes fines, je les appelle ici ainsi faute de connaître leurs noms, de milliards de plantounettes où trainaient également feuilles et branches sèches, coques abandonnées de noisettes. J’étais arrivée à ce que j’avais voulu, l’oubli, sans plus, mes doigts agrippés dans la terre, j’y coulais. Vous savez bien comment on fait, on y va un os à la fois, où quelques os à la fois, et puis les muscles, les muscles par paquet, les faisceaux de muscles, le seau de la peau, on les confie au grave, à la gravité de la terre et on s’enfonce, on s’étale. Bref.
ST4
Terrer : « Mettre de la nouvelle terre ». Se terrer : « Être terré, être couvert de terre. Se terrer, se cacher sous terre, en parlant de certains animaux. Se cacher à l’abri du danger ou vivre hors du contact avec autrui ». Ou encore : « Se mettre à couvert du feu de l’ennemi par des travaux de terre ».
ST1
Je ne basculerais ce jour-là dans aucune tranchée. Je resterais beaucoup allongée assistant depuis le sol à de nombreuses joutes de lumière, de véritables tournois. Mais aucune tranchée de terre ce jour-là ne me prendrait, je ne serais alourdie d’aucun casque ni barda, j’écrirais au soleil dans le sable du bord de l’étang. Il n’y aurait ni ennui ni guerre où m’enfoncer ni ver à mâchonner. Aucun cauchemar vivant. De quelques vêtements allégée, j’aurais regardé à travers les roseaux, le chêne ployer. Aurèle aurait dit : c’est la terre à l’envers, aujourd’hui. C’était la terre à l’envers. Non que je tienne à tout prix à terminer sur une note gaie. Pour ce jour-là, c’était assez.
*
10 février
ST2
Vers les trois heures, l’heure où comme un couvercle le taire fond sur la terre, j’ai ouvert à la terreur des coupables, mon maître. Quand la nuit avançant, qu’aucun grain de terre ne hissait, à entendre ses jugements sévères j’ai eu besoin de mordre, j’ai mordu la terre, sa pomme. Et elle était fraîche et boueuse et je me repaissais loin des regards, dans la chambre avilie les yeux sur la fenêtre ouverte à l’absence des dieux et des pierres des yeux. L’absence des pierres des yeux.
ST4
Atterrer: 1 C’est d’abord renverser par terre, jeter au sol. Après un moment de lutte, il l’atterra sous lui (Bossuet). 2 Et c’est petit à petit que la terreur rentre dans atterrer. Jeter dans l’abattement, l’affliction, l’épouvante.
ST1
Unique mouvement, raffinement suprême je le redis : de la terre aucun grain tant qu’a duré la nuit qui la terre ne hisse, je veux dire qui le globe ne hisse dans l’orbite aggravé du temps. Je le dis pour qui il est utile de le préciser. Et avec bonheur, car je vous parle ici de la terre en chacun de ses grains, chacune de ses particules, qui connaît le feu du centre et la surface de l’air. Cette terre est sainte, s’il en est, autant vous le dire, en effet. Elle, nulle autre.
ST1 ST2
Au matin, tout a changé. Vous savez le changement du matin. La terre avait fait son travail supportant mon poids au sol étalé au travers des vides, des plafonds et des planchers. La terre d’ailleurs vers 5 heures m’avait rapatriée jusqu’à sa version sale de la cave, version noire humide obscure propice peut-être aux rats que je n’avais pas vus. Or voilà que l’astre maintenant se levait et je revenais à moi dans la douceur de la chambre aux murs roses, sous les fenêtres blanches, la juste terreur conçue de mon crime s’étant évanouie emportée par les sages brouillards blancs de cette aube d’été. Les grains seuls continuaient à vaquer, je regardais la lumière arriver. Je buvais.
ST3
Quand tout l’or du jour fut arrivé, j’ai coulé dans les escaliers toute ma masse molle coulée marche à marche, c’est un chat qui m’avait enseignée, vers la porte et le dehors, les escaliers encore puis la terre, enfin, la terre la terre, enfin, dont je ne sais encore que dire tant j’étais encore moi, je dis tant j’étais encore moi-même, vous comprenez, me décidant cependant – à ressentir sa fraîcheur sa dureté son étrangeté – à prendre possession d’elle, à me glisser sous le masque de doux lin de son altérité. Ici, tout est difficile à dire, car la terre là est parcourue de plantounettes fines, je les appelle ici faute de connaître leurs noms, de milliards de jeunes plantounettes où trainaient également feuilles et branches sèches et coques abandonnées de noisettes. J’étais arrivée à ce que j’avais voulu, l’oubli, mes doigts agrippés dans la terre, j’y coulais. Vous savez bien comment on fait, on y va un os à la fois, où quelques os à la fois, et puis les muscles aussi, les paquets de muscles, les faisceaux de muscles, le seau de la peau, on les confie au grave, à la gravité de la terre et on s’enfonce, on s’étale. Bref.
ST4
Terrer : Mettre de la nouvelle terre. Se terrer : Être terré, être couvert de terre. Se terrer, se cacher sous terre, en parlant de certains animaux. Se cacher à l’abri du danger ou vivre hors du contact avec autrui. Ou encore : se mettre à couvert du feu de l’ennemi par des travaux de terre.
ST1
Je ne basculerais ce jour-là dans aucune tranchée. Je resterais beaucoup allongée assistant depuis le sol à de nombreuses joutes de lumière, de véritables tournois. Mais aucune tranchée de terre ce jour-là ne me prendrait, je ne serais alourdie d’aucun casque ni barda, j’écrirais au soleil dans le sable du bord de l’étang. Il n’y aurait ni ennui ni guerre où m’enfoncer ni ver à mâchonner. Aucun cauchemar vivant. De quelques vêtements allégée, j’aurais regardé à travers les roseaux, le chêne ployer. Aurèle aurait rappelé : c’est la terre à l’envers, aujourd’hui. C’était la terre à l’envers. Non que je tienne à tout prix à terminer sur une note gaie. Pour ce jour-là, c’était assez..
intéressant de suivre l’évolutions des mots, jour après jour ou presque. Prise par les strates 4 d’errance et terreur, cette étymologie à laquelle je n’avais pas pensé, trop « terre à terre », le nez dans la glaise que j’étais.
merci perle. es-tu trop terre à terre… nous sommes différentes… ce sont des mots qui sont venus me parler d’abord il est vrai, des mots séparés de la matière plus que des souvenirs de sensations, mais ces mots étaient pleins encore de sensations dont je ne sais où ils les avaient recueillies*… et ces sensations dans les mots, nous aimons les interroger…. enfin je dis n’importe quoi…. « dans terreur il y a terre », c’est curieusement quelque chose que je me dis parfois quand certaines choses ne vont pas… qui date de la lecture (lointaine aujourd’hui) et de cette recherche de Lacan sur les étymologies d’atterré… (dans le contexte de son analyse, à la suite de Freud dans son livre sur le Witz, du « famillionnaire » de Heinrich Heine).
Merci pour ton passage.
*ces mots voulaient dire alors, discrètement, une sensation actuelle qui se souvenait d’hier et des rencontres avec la terre, et de tous ce humus labyrintique, ce terrier de mots qui se croisent dans l’homophonie et la sensation, dans le traduction poursuivie de la matière. les mots en deviennent matière à leur tour. enfin tout cela est mal dit.
Quelle aventure que ton journal de (la) terre, Véronique, cela déborde (le lecteur que je suis), est-ce insomnie ? ou éveil nocturne à la terre, lui être toute ouïe ? Ce substrat est riche (et renversant), j’y retiens pour l’instant (comme garde-corps) ceci : « ces mots encore pleins de sensations » et cela : « le corps écoute la langue » (il faudra que j’y revienne)
merci pour ta lecture , encore une fois Christophe…. je n’aurais pas dû laisser là toutes ces versions. j’en ai eu besoin tant que je travaillais, et je ne sais jamais comment arrêter de travailler, comment/quand m’arrêter. ici, c’est la consigne suivante qui m’arrête, à laquelle évidemment je suis revêche, peut-être seulement parce que je voudrais rester en arrière.
j’essaierai de faire quelque chose de ces versions. la dernière bien sûr prime. est celle qui compte. de mes déchets, il faudrait que je ne garde finalement que ce à quoi je n’ai renoncé qu’à regret.
….
J’ai eu de la chance un jour. Un ami m’avait proposé de me publier, Jonas Delaborde, des éditions Der Vierte Pförtner Verlag . Jonas est artiste. J’accepte sa proposition et lorsqu’un an plus tard, il vient me voir, j’arrive avec toutes mes versions d’essai et lui dis, tu vois Jonas, je n’ai pas été sans essayer, mais ça ne va pas, lui feuillette, il me dit Je prends tout qu’il glisse dans sa mallette ou sac à dos. Il repart avec le tout, et trois mois plus tard, je crois, voilà, ça sort, c’est fait. Moi-même, je suis heureuse du résultat. Une amie le lit, et me parle du vertige auquel ça conduit. Jonas en effet a mêlé les versions, il y a de nombreuses répétitions, mais elle apprécie beaucoup. A une autre amie, je dis Oui mais, finalement, c’est pas vraiment de moi, c’est Jonas et moi, elle me dit, Mais non, non, y a que toi d’abord pour écrire ça, ensuite, y a que toi pour accumuler comme ça des essais… Et quelque chose de ce qu’elle me dit me convainc. Que je retrouve au fond ici.
Je suis toujours plus attachée au chemin qu’au point d’arrivée, je n’arrive d’ailleurs jamais nulle part. Contrairement à Kafka par exemple, qui ne se souciait que du texte final. Littéralement, je ne sais pas ce que c’est bien écrire. J’ai des doutes par rapport à tout ce que je fais, tout en ayant confiance, en sacralisant presque le moindre bout d’écrit. Qu’il s’agisse du mien ou de celui d’autrui. Comme Jonas d’ailleurs, je suis attachée, touchée par les listes de courses. Cette fois, concernant ce texte, très vite, le premier moment de joie passé, je n’ai plus eu confiance en ma première version. Cependant, dans la bouche, mon premier paragraphe reste celui que je préfère, le tout premier. Et le paragraphe que j’ai finalement enlevé, phonétiquement, je l’aimais, et physiquement, quelque chose en moi le « sentais », sentais la tension que j’essayais de décrire. Mais, tout cela ne me semblait pas clair… Donc, j’ai tendance à garder, me disant, je reprendrai dans 10 ans. Ou le jour où je me déciderai à faire la petite édition confidentielle, manuelle, « a mano », dont j’ai envie pour la donner à mes amis. J’imagine par exemple utiliser en fond de page les copies manuscrites de toutes les versions, et par dessus, la dernière version.
Enfin, il ya toujours du trop dans ce que j’écris, c’est vrai. Même quand comme cette fois-ci j’ai essayé de couper et que je n’ai pas jeté le coupé à la poubelle….C’est souvent ce qui m’oblige à m’arrêter.
Extrait du premier tome de Kakfa de la bio de Reiner Stach, p. 409
… Kafka voulait finir ses grands projets… ce qui comptait pour lui n’était pas le travail, mais bien le résultat. Le cheminement n’était pas une fin en soi, pas du tout..
Enfin, j’ajoute que j’ai fait de nombreux enregistremetns de ce texte. Qu’il s’est corrigé comme ça, en le disant puis en l’écoutant. …
Je comprends ton attachement au cheminement. Le cheminement est ce qu’on a quand on ne sait pas où on va : au moins ça, sans idée de résultat (pour ma part je ressens toujours très fortement l’impossibilité d’un établissement du texte, ou d’un ensemble, quelque chose qui fasse volume. Me rendant compte que mes écrits s’assimilent au poème en prose, je me refuse cependant au recueil, à leur compilation. J’ai l’idée qu’un livre doit faire jouer une tension, un champ de forces, devrait être tendu comme un arc… et me conduire ou déposer quelque part — sans savoir ce que cela veut dire — j’imagine que l’objectif s’appréhende une fois atteint, aveuglette… Pour ma part encore, le cheminement a une tendance comme naturelle à se perdre dans les limbes si je me retourne sur lui, comme un chemin qui ne ferait pas trace… Mais j’apprends peu à peu, ici notamment, à faire avec, avec ce qui vient
ah oui, je ne l’avais pas dit : j’oublie. dès que je prends un peu de distance, j’oublie. il ne reste rien (ou presque). c’est une chose que je déplore chez moi moi : l’oubli et la dispersion.
livre tension : je n’ai aucune doute sur la tension qu’un recueil de quelques uns de tes écrits comporterait.
« L’art véritable est sans but, sans intention. Plus obstinément vous persévérerez à lâcher la flèche en vue d’atteindre sûrement un objectif, moins vous y réussirez, plus le but s’éloignera de vous. Ce qui pour vous est un obstacle, c’est votre volupté trop tendue vers une fin. Vous pensez que ce que vous ne faites pas par vous-même ne se produira pas. »
et qui nous dit ça, stp ?
On trouve ça dans ce merveilleux petit livre, Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, que je n’ai pas sous la main, mais dont j’ai trouvé un extrait sur Babelio. C’est écrit par un philosophe allemand parti au Japon pour étudier le zen par l’art du tir à l’arc. Lumineux.
et sur wikipedia, je trouve :
Il enseigna un temps la philosophie à l’université impériale de Tohoku à Sendai, au Japon, de 1924 à 1929. Durant cette période, il crut possible d’approcher la pratique du Zen en s’initiant au tir à l’arc de cérémonie japonais (kyūdō), dans une variante de celui pratiqué dans les temples shintō appelée daishadōkyō. Il fit cet apprentissage auprès du fondateur de ce courant, maître Awa Kenzō.
Il a été membre du parti nazi à partir de 1937, après s’être rapproché du national-socialisme dans les années précédentes.
!!!!!
https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-global-history/article/abs/archer-and-the-arrow-zen-buddhism-and-the-politics-of-religion-in-nazi-germany/0787C56A77F9D0B44632743B74A06B2C
Merci Véronique pour ces rebonds et rebondissements
Quel régal de vous lire. C’est énorme ce travail avec les différentes versions qui naissent en strates. Et la jubilation de la langue, la mise en perspective au fil des heures. En fait ça pourrait continuer encore et encore. « Creuser » ces strates dans un jeu de répétitions variations.
Merci pour ce texte, ça donne envie de s’emparer à nouveau de cette proposition. C’est très beau.
Merci Françoise, cela me touche beaucoup. Et si ça peut vous inspirer… J’aimais beaucoup votre texte aussi. Peut-être mieux qu’aucune matière la terre s’écrit en rhyzome…. par additions… comme ici, dans l’atelier. Je dis cela sans avoir lu Mille-Plateaux qui simplement se trouve sur ma route aujourd’hui…
« “Écrire à n, n-1, écrire par slogans : Faites rhizome et pas racine, ne plantez jamais ! Ne semez pas, piquez ! Ne soyez pas un ni multiple, soyez des multiplicités ! Faites la ligne et jamais le point ! La vitesse transforme le point en ligne ! Soyez rapide, même sur place ! Ligne de chance,ligne de hanche, ligne de fuite. Ne suscitez pas un Général en vous ! Pas des idées justes, juste une idée (Godard). Ayez des idées courtes. Faites des cartes, et pas des photos ni des dessins. Soyez la Panthère rose, et que vos amours encore soient comme la guêpe et l’orchidée, le chat et le babouin. On dit du vieil homme-fleuve. Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo. L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, unique-ment d’alliance. L’arbre impose le verbe « être », mais le rhizome a pour tissu la conjonction « et… et… et…». Il y a dans cette conjonction assez de force pour secouer et déraciner le verbe être.”
Gilles Deleuze & Félix Guattari, Milles Plateaux.
Je recopie ça, étant moi-même bien incapable de rapidité…