Elle suit du regard l’écureuil s’aventurant sur les branches juste derrière la fenêtre à guillotine et sa moustiquaire métallique l’arbre est si proche qu’elle pourrait caresser le pelage roux si elle tendait la main par la fenêtre elle sourit intérieurement en suivant son trajet tortueux et bondissant il s’arrête repart s’affaire sans se préoccuper du regard de l’adolescente immobile qui l’épie émerveillée de sa vivacité apparemment insouciante des années plus tard de la fenêtre de son bureau elle repose ses yeux en observant un autre arbre plus grand très grand même ancien sûrement imposant qui domine et obscurcit la pièce dont il est pourtant éloigné ici nul écureuil ne court sur les branches ou alors c’est très rare furtif exceptionnel il y a trop longtemps qu’elle n’a pas ressenti cette joie d’en apercevoir un trottiner sur les branches de façon inattendue comme un rayon de soleil illuminant soudain la journée heureusement l’arbre est là lui solide immense mais depuis quelque temps il craque par grand vent et cela l’inquiète était-ce déjà de l’inquiétude quand elle assistait au défilement du paysage par la fenêtre de la voiture ces matins froids d’hiver où sa mère la conduisait à l’école pendant que l’autoradio diffusait ses mélodies peut-être Hugues Aufray s’alarmant que Céline n’ait pas d’amoureux elle qui avait pourtant de beaux yeux et aurait pu rendre un homme heureux une émotion l’envahissait comme une prémonition tandis que le paysage s’effaçait indistinct derrière la buée sur la vitre la séparant de ce monde en mouvement inaccessible et nébuleux et il y a eu cette autre fenêtre encore plus inquiétante ou peut-être juste un soupirail avec des barreaux mais beaucoup trop haut pour qu’elle puisse voir de l’autre côté juste un souvenir très flou qu’elle ne peut situer ni dans le temps ni dans l’espace avec comme une impression de pluie à l’extérieur une image ancienne sûrement qui la met mal à l’aise sans qu’elle sache pourquoi alors elle revoit une autre fenêtre qui donnait sur un saule dans le jardin de ses parents un saule pleureur avec lequel elle se sentait des affinités seul confident de ses chagrins elle aimait le voir évoluer au gré des saisons en particulier au printemps lorsqu’il se parait soudain de minuscules éclats de ce vert naissant aussi tendre qu’un baume réconfortant.