#voyages #03 | l’impossible retour

1.

…C’est une hépatite qui m’empêcha définitivement de retourner à Kandahar le vrai but de cet énième périple photographique; terrassé par de terribles maux d’estomac, les fièvres, les vomissements alors que nous parvenions enfin au sud de Kaboul notre première étape, et ce après plusieurs nuits de marche et de journées de désœuvrement, , je dû tirer un trait sur l’aventure, revenir vers le Pakistan , et bien sûr j’y revins; médecin du monde confirma le diagnostic posé par J. médecin hindou au dispensaire de Peshawar, une fois que le groupe m’y eut déposé après la passe de Khyber. Enfin un pickup m’emporta et c’est crevé et penaud que l’on me déposa à New Quetta devant les bâtiments de l’organisation médicale internationale; on m’ausculta encore; magnifique ictère ! je devais revenir en France de toute urgence pour me faire soigner. Mais je ne retournai plus jamais dans ce pays que j’avais cru connaître avant de partir. Ce que les événements avaient produit comme impact sur la réalité dans laquelle je vivais, quelques mois à peine auparavant, l’avaient balayée et je me retrouvais soudain étranger dans mon pays natal. La contingence seule, avec sa tête de Janus, me tomba sur le paletot presque sitôt que l’avion atterrit à Roissy . Aucune idée de ce que j’allais bien pouvoir faire désormais. Mécaniquement je pris les transports en commun en direction d’Aubervilliers. J’étais comme un de ces rats blancs qui cherche désespérément une sortie dans le labyrinthe où je m’étais fourré de toute évidence tout seul; il n’y avait pas d’issue, j’allais devoir reprendre ma vie d’avant mais cette fois fois dépourvu de tout espoir. C’était comme d’avoir à rechausser des chaussures usées jusqu’à la corde, enfiler des vêtements devenus trop étroits. En ouvrant la boîte à lettres un torrent de factures, de lettres de relances, d’avis recommandés me tomba sur les pieds. Puis, une fois parvenu sur le seuil de l’appartement, j’introduisis le clef dans la serrure, poussai la porte puis tentai vainement d’allumer la lumière car on m’avait coupé l’électricité. En effectuant mentalement le tour des personnes que j’aurais pu appeler, leur demander un peu d’aide, une puissance hostile me l’interdît aussitôt, non seulement la ligne téléphonique était coupée elle aussi mais surtout je su que je me retrouverais désormais, pour une durée indéterminée, ligoté à mes propres responsabilités. Kandahar s’évanouit alors pour de bon comme ont coutume de s’évanouir les mirages, et la réalité resserra un peu plus son étau : le retour vers cette forme d’invulnérabilité à la naïveté propres à la jeunesse, même en rêve, s’avérèrent impossible.

2.

… En aveugle, les mains en avant je fis plusieurs fois le tour de la cellule dans laquelle je m’étais enfermé quelques mois plus tôt. Bien sûr il ne s’agissait pas d’une cellule véritable, d’une cellule vulgaire, celle-ci je l’avais construite patiemment et de toutes pièces, une cellule uniquement constituée de rêves, d’espoirs, de buts à atteindre au bout de quoi se trouverait la gloire sinon rien. Devenir un grand photographe était ce but lointain que je m’étais fixé sans trop y croire, parce que tout simplement il faut bien un but. J’avais ainsi suivi les méandres d’une route étrange, une route parallèle à toute réalité, espérant qu’à un moment où l’autre la loi géométrique mentirait, que ces deux routes se rejoindraient. Mais c’est par cette cellule qu’elles passent ces routes sans même se toucher sans jamais se toucher, on peut les voir distinctement tout à coup du plus profond de l’obscurité mais ce n’est plus possible de poser un pied sur l’une comme sur l’autre, et ce malgré l’exiguïté des lieux. Étrange moment que celui de voir un but que l’on s’est inventé, auquel on n’a jamais cru vraiment, disparaître. J’imagine que cela fait partie de ces moments importants d’une vie à marquer d’une pierre blanche. Alors, comme toute issue vers l’extérieur était devenu dérisoire, et je crois bien que ce fut là un réel soulagement, je tentais d’autres types d’évasions, tous aussi périlleux qu’insignifiants, et, à bien y réfléchir il semble que ce sentiment d’insignifiance soit lié à la puissance que l’on s’obstine à entretenir avec le désir de s’évader, à cette tension que produit sur les neurones tout l’imaginaire d’un ailleurs comme au refus catégorique d’être ici bien sagement et de réunir assez de courage pour y demeurer.

A propos de Patrick B.

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