Aleksandra Čaka iela Une grande artère, le taxi la remonte depuis la gare, elle est interminable, bruyante, décrépie, chaude, les façades sont hautes, à travers les vitres de la voiture le regard enchaine épiceries, laveries, rideaux de fer verrouillés, écriteaux qu’on n’aurait pas le temps de lire, même s’ils étaient en français, fast-food, un fleuriste qui a tenté le grand déballage sur le trottoir, il y a de la vie, des vieux qui rêvent et des gosses aussi.
Hôtel Rafael. Aleksandra Čaka iela 87. Le taxi est en double file. Pas un hôtel dont on se souvient. Qu’est-ce qui pourrait ici se graver dans une mémoire ? Ni le quartier, loin du centre et des joyaux vantés par les guides, ni le bâtiment lui-même, d’une banalité poussiéreuse et absolue. Ce qui restera, c’est la grève des pilotes qui a allongé de deux nuits le voyage, il a fallu avancer le départ. Rafael, trouvé en deux clics, ne nous accueille pas si mal.
Place du Dôme, l’architecture s’efface devant l’UNITED BUDDY BEARS, des ours au pelage bariolé, il y en a 100, 150 peut-être, pattes levées vers le ciel et par lesquelles ils semblent se tenir, du bout des griffes, pour faire farandole. Les humains circulent et posent, cherchent l’ours du pays d’où ils viennent ou qu’ils ont traversé. Il s’en faudrait de peu pour qu’on croie à la fraternité. En levant un peu les yeux, oui, l’architecture est là, on se croirait entre Bruges et Amsterdam.
Le jardin public sur les rives du Daugava, un salon de thé à l’anglaise, véranda et salons de jardin disséminés sur la pelouse, tables et chaises en fer, coussins délavés, un endroit un soupçon désuet où marcher pieds nus, où laisser flotter son regard jusqu’aux barques et à la passerelle.
Le marché couvert trois anciens hangars militaires, ils ont rendu les armes mais on y imagine les boulets de canons, les munitions, les uniformes et les garde-à-vous. Dans les travées extérieures, on mange du cassis, des figues et de la charcutaille et on boit du vin local debout entre l’étal du producteur et une charrette bringuebalante où s’entassent des cageots vides. Certains marchands n’ont plus d’âge tant ils semblent vieux.
La petite rue qui descend, la rue de la crêperie, la rue de l’huile à l’abricot, la ruelle non répertoriée mais qu’on emprunte tous les jours, cosmopolite et animée, les trottoirs y sont étroits, on s’y suit à la queue-leu-leu ou on marche sur la chaussée. Les scooters nous frôlent.
Le gratte-ciel Staline, est-ce bien son nom ? Palais de l’académie des sciences. Aucun doute on est à l’est, au pied d’un bloc austère qui se prolonge en hauteur par une tour. On imagine les longs couloirs qui veinent l’immeuble, les bureaux distribuées au carré, des salles strictement identiques de part et d’autre. On tente une incursion prudente. Au pied des deux ascenseurs, une gardienne du temple nous fait signe que non, pas de visite. Pas aujourd’hui ? Trop tard ? Pas compris.
Jurmala, à vingt kilomètres de Riga, on y arrive en train. Une route passante à traverser et un accès direct à une station balnéaire 1900. Les villas, les ombrelles, un charme kitch. On marche sur l’eau ici. Au plus loin qu’on regarde l’horizon, ce ne sont que gens qui se croisent à pied, infiniment lentement, le spectacle est saisissant. Quand on lâche les sandales et qu’on se mêle à la foule flottante, l’eau de la Baltique nous caresse les genoux alors qu’on est à trois cents mètres du sable.
Maison de vacances, comment s’appelle-t-elle, Airava peut-être, sur Internet les images ressemblent, une maison à la Hooper dans un jardin, capital séduction assuré à l’extérieur. Lits en fer placés aux quatre coins d’une chambre défraichie, papier peint marron qui a jauni, douches à intimité limitée et intermittente sur le palier. L’intérieur a des allures de chambres de colo pas cool. Les visages qu’on croise sont fermés. Dans son petit écrin vert, cette maison devient cependant la nôtre.