Les ombres sont encore familières dans la chambre aux nuages. L’échelle de la lune au plafond, la masse de l’armoire qui ne ferme pas, les habits immobiles, la table dont les tiroirs ne seront plus ouverts pour chercher je ne sais quoi qui ne saurait y être. Tout en suspens pendant l’absence. Les élus dans la valise fermée difficilement. Je le porterai manteau ,bottes, un sac à dos pour les fromages avec la trousse de toilette, voisinage de voyage. La pensée en Cumulonimbus. Partir avec une adresse pour la première semaine, c’est pas mal, tout peut se régler à la semaine, le loyer, la semaine de travail, déclarée ou pas, en cash, de semaine à semaine. Dors et arrête tes pensées en saute mouton. L’impératif invite à la résistance, dans sommeil, il y a veille. Alto cumulus. Mais qu’allait elle faire dans cette galère ? Virage à 180 degrés alors que la rentrée était bouclée, dernière année à l’université, DEA justifiée, obtenue dans des lettres motivées et convaincantes, carrières judiciaires à la sortie, une année sentimentale bien remplie, deux amoureux, l’un qu’on embrasse, l’autre qui vous embrasse. Sur un coup de tête, un jour où la routine du trajet en RER est plus prégnante, les néons de la fac de droit plus corrosifs, demi tour toute, changement de cap, sans aucun signe préalable. Sur une phrase jetée en l’air par Sophie, camarade plus qu’amie, faut que ça change, j’en peux plus. On part à l’étranger, chiche ? Partons à Londres. Parce que Londres, c’est à côté, c’est ailleurs, un pas de côté. D’un immobilisme de plan quinquennale , voilà qu’une multitude de décisions sont prises en une semaine. Étude suspends ton vol, une adresse d’arrivée, le temps de trouver un logement, un stage trouvé. Les parents qui ne disent rien. Je parle très mal l’anglais, aucune facilité pour les langues. Faire comme les frères et sœurs qui sont partis, répéter un scénario familial, marcher dans un sillon tracé croyant agir de moi même. Quand je reviendrai la maison ne sera plus la maison. On déménage, la chambre n’existera plus. Demain, maman m’accompagne à la gare saint Lazare. C’est inhabituel, elle n’accompagne jamais à la gare. Nous savons toutes les deux que c’est un passage. On le sait, c’est un lien qui se rompt. Dans la valise, un petit carnet où j’ai recopié trois ou quatre recettes de cuisine. un carnet d’adresse. A qui vais je écrire en premier, celui qui lira mes lettres avec hauteur comme on lit une copie ou celui qui les boira . Les livres, finalement j’ai pris David Copperfield par que c’est gros, anglais et que cela va me tenir bien au ventre, et puis parce que je vais sur une île tout de même, un gros poisson, Moby Dick.
L’embarquement est si tôt que c’est plus simple d’arriver tout de suite à l’aéroport. Tu es sûre que c’est Roissy et pas Orly. Pour la énième fois, je vérifie le billet comme on remonte vérifier le gaz. Enregistrement à 6h30. Cela suppose une navette ou un métro à 5h30, sans compter la possibilité d’une grève, comme on arrive le soir même à Paris autant y aller directement, sans lit de transition pour une nuit raccourcie chez la cousine où on serait empilé sans fermer l’œil. La Famille Fenouillard, le père, la mère, le fils, la fille, en route pour l’ailleurs. On traverse la nuit en faisant un concert de roulement de valises sur le pavé, jusqu’à déboucher tous éblouis dans les néons du Terminal 1. Couloirs vides ou plutôt clairsemés, d’autres personnes en errance traînant grosses valises toutes enrubannées de cellophane. On a du temps, beaucoup de temps. Les bureaux d’embarquement fermés, on peut aller aux toilettes, c’est le moment d’aller s’aventurer à l’étage inférieur, de longer des couloirs jaunes pour les trouver tout au bout. On a même du temps pour manger un morceau, famille oblige, thermos, paquets de gâteau, carottes. La vie est quand même étrange, on se retrouve là tous ensemble alors qu’on a jamais été fichu de faire un voyage familial, il y a des équipes de nettoyage qui balaient, des personnes qui partent pour New York, d’autres pour Tel aviv, des riches, très riches qui voyagent blasés, des personnes masquées dont on n’aperçoit parfois même pas les yeux, des publicités, des migrants pieds nus avec des valises maisons, la voix électronique des destinations, la même qu’à la gare de Lyon, il y a la guerre, les plans vigipirate, le duty free, Madame Coco, une femme qui sert passionnément son flacon Interdit , et je mange un figolu, la nuit, dans une zone intercalaire. La vie est étrange et je ne sais pas si je suis contente ou juste très excitée comme un chat en voyage, dans sa boite, aux aguets. Un bureau a ouvert et toutes les valises ont roulées vers l’hôtesse mal réveillée et pas très aimable. Pas encore ouvert dans une demi heure, Antoine lui montre quand même le billet. Pour l’Afrique, c’est l’autre Terminal. On a repris fissa la route, mais cette fois ci, plus personne traîne, les enfants devant, honteux comme tous les enfants de leurs parents. Autant de bruit pour de maigres résultats. On avance devant dans la nuit. Je crains pour mes roues de valise réparées et bricolées. Toujours pressés, avec agitation. Pas comme l’image élégante d’une revue. Mais nous étions tellement en avance, on a bien fait parce que on a fini par bien la remplir notre avance, on a m^me réussi par être juste. Au terminal 2, les destinations et les voyageurs étaient effectivement plus africains. Rassurés, il ne restait plus qu’à suivre la file et commencer à faire connaissance. la voisine part pour un deuil, sa fille l’avait accompagnée jusqu’à l’aéroport, elles aussi étaient inquiètes, en se demandant si le visa passerait.