« Si vous pouvez sentir la rue en regardant la photo, c’est une photo de rue. »
Bruce Gilden (Photographe controversé)
C’est une avenue de moins d’un kilomètre qui sépare les deux villes. Elles se retrouvent ici « nez à nez »…
Côté pair Vénissieux, côté impair Lyon huitième. Plus le temps passe et plus la jonction se fait indiscernable. Sans les panneaux on en saurait rien. C’est en la traversant plusieurs fois par semaine qu’on rentre et qu’on sort de l’une ou l’autre ville presque sans y penser. C’est une zone de transit où s’attarder n’est pas plaisant. Trop de bagnoles et de feux tricolores. Des populations de condition modeste, interchangeables, s’ y égrennent aux arrêts de bus ou de tramway. Aucun bar convivial digne de ce nom. Un point de vente de journaux avec ses ombres dos courbé d’addiction à la Française des Jeux …Le Bar PMU est plus loin plus maghrébin aussi, peu de femmes s’y aventurent… Les femmes voilées sont nombreuses. La ligne de métro qui mène de Vénissieux au centre ville a été obtenue de haute lutte, mais elle a été refoulée le long de la séparation avec Bron autre ville accolée côté est. La Station Parilly sert de point de ralliement à quelques tours de roue de la Gare de Vénissieux, l’une des dernières nées du désenclavement périurbain. L’avenue qui ne paie pas de mine a suturé définitivement la fracture géo-démographique entre deux municipalités d’opposition et n’a pas réussi fort heureusement à nourrir le fantasme d’invasion barbare attendue de la part des » sauvageons » des Minguettes. Même les dealers se font discrets dans cette zone où les immeubles sont encore espacés. Mais les vieilles maisons sont peu à peu éliminées et surgissent de nouveaux bâtiments aux normes thermiques dans des programmes d’investisseurs et de logements sociaux. L’Avenue s’est vue dotée de deux grands mastodontes de la distribution IKEA et CASTORAMA….Le grand champ de maîs côtoyé pendant plus de quarante ans n’existe plus.
L’Avenue rêvée comme un retour olfactif à une vie antérieure
L’odeur pétrochimique à 4h30 du matin sur ton solex noir
Eté comme hiver rejoindre les odeurs de la pâte humaine
Apprendre à soigner ce qui ne guérit guère le mal de l’esprit
Rester dans la fosse aux silences angoissants peuplés de cris
Huit heures durant garder le coeur ouvert et les gestes prudents
Les scènes reviennent en songe elles sont toutes bouleversantes
Hôpital de Maristes légué pour un franc symbolique à des tiers
Des histoires de vie englouties sans mémoire des noms perdus
Un film en sortirait si on voulait prendre la peine de raconter
Mais on oublie ce qui dérange et même Freud parait figé
Route de Vienne faut-il qu’il t’en souvienne tu avais vingt ans.
J’aime beaucoup ce texte, en quelques lignes tout est là géographie, sociologie, politique, économie, évocation très « réelle » de cette frontière progressive (je la connais et la retrouve ici) et belle écriture.
Merci d’avoir perçu cette nécessité que je ressens de rendre l’écriture active dans la représentation commentée du réel.
une avenue rêvée qui revient par l’odeur pétrochimique des petits matins , oui c’est possible (vrai?) cependant juste après, le mot solex crée une confusion intéressante, l’odeur du moteur de solex ou celle du couloir de la chimie, mon cœur ne balance pas, vive le solex !
Et si tu y rajoutes les nausées d’une première grossesse, tu as le tableau complet ! La ville a tout changé dans ma perception et mes sensations, ce n’est que rétrospectivement que j’en mesure l’impact. Merci pour ton message.
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