Pour aller de la maison aux bords de mer des vacances, il y avait :
Une rue à traverser pour ouvrir la voiture stationnée juste en face de la maison, comme un cadenas à déverrouiller : une fois la boucle de métal dodue dégagée de son orifice, une fois le portillon ouvert, le trottoir enjambé et la rue traversée, le sentiment de liberté point clair et net, se matérialise dans le son des clefs qui tintent un instant, de la poche du veston à la serrure de la portière conducteur.Le coup d’accélération après le virage du boulevard de Carcouet, la tour des telecom en ligne de mire, improbable vigie des temps modernes que nous longeons avant de quitter définitivement la ville et de plonger dans le paysage de campagne.
La vision de la rangée de jeunes pins parasol – bientôt plus que trois ou quatre, puis un seul, puis à présent, vingt ans après, plus aucun – plantés au dernier jour de l’aménagement de cette « voie rapide » qui faisait la fierté des Nantais-es partant vers l’ouest : nos routes sont libres de taxe, puisque menant en Bretagne, pays exonéré depuis la signature d’un fameux édit ; cette route est moderne, alliant vitesse et sécurité pour parfaire les standards de bien-être en Province – contrairement à d’autres régions où l’exode rural s’est couplé d’une déshérence des infrastructures autoroutières.
Les détails bucoliques des bords de route : champs de bocage et prairies inondées d’octobre à mars, bosquets d’ajoncs ou haies d’aubépines marquant les saisons de leurs blanc ou jaune et vert pimpant, chênes offrant leur ombre majestueuse au mitan de l’été ou ciselés des dentelles du givre des fêtes de fin d’année, bâtiments de ferme d’un autre siècle accoudés l’un à l’autre comme autant de forteresses dressées contre l’usure du temps.
La douceur des collines après le grand pont sur la Vilaine, aux échancrures moirées entre deux falaises et une rive accueillante pour bateaux en goguette, escale probable du retour ou halte d’échange d’enfants entre couples séparés et grands-parents prévenants.
Les paris sur le temps de parcours entre deux châteaux d’eau, deux chapelles au clocher dépassant d’un bois de frênes, deux églises aperçues au loin, maintenant deux groupes d’échassiers étranges aux larges ailes déployées – les éoliennes, vigies modernes de nos vies connectées.
La dernière descente un peu rapide entre deux bourgades, Vannes et sa femme, Pluneret dernière demeure du cœur de la comtesse, Ste Anne berceau de notre mère Patronne, enfin les couleurs et la lumière par-dessus le pont, du Bono, de St Goustan ou de Kerisper, l’essentiel est d’enjamber une rivière, car l’eau qui coule en-dessous est déjà salée.
La sensation du sable sous les pieds, du soleil dans les cheveux, des embruns au creux des yeux, de la bouche pleine du rire de la mer qui entre et va et vient au milieu de nos vies d’été, plage et régate, quais et ruelles, le voyage est fini, du moins le temps d’une saison.
L’idée du soir qui monte en irisant ciel et forêt de mâts, la légèreté des voiles qui faseyent avant d’être affalées, le tintement des drisses comme un angelus facétieux, ma vie d’enfant d’adolescente de femme puis de maman, on avait dit que rien ne change surtout, nous voilà arrivés encore, toujours, ancré-es à ce pays, merci.
sur l’un et l’autre trajet, tous les sens en éveil
J’adore le ton informatif du début, comme le long d’un chemin de halage sur le canal de Brest à Nantes… et soudain la retranscription des sensations, en formes de haïkus, c’est doux et beau