Le soir on a fini d’installer les meubles les livres les jouets et toute la quincaillerie de la vie quotidienne. On avait embauché jardinier cuisinière et chauffeur, rempli les pièces de ce qui deviendra bientôt les souvenirs des prochains mois. La maison est pleine de rires, de chansons et de joie. Mais au matin un cri une mauvaise nouvelle l’urgence : les voix ont changé de ton, il faut reprendre les allées ressortir du jardin rejoindre la ville atteindre le bureau miteux du douanier qui nous dit revenez demain vous avez mal compris. Le lendemain les messages de la nuit s’amoncellent on doit vraiment y aller ils nous attendent elles nous espèrent alors reprendre vite le chemin les avenues les trottoirs pour trouver un billet demander un visa. La journée enlace contretemps et contrordres en une valse lente qui nous ramène hagard au logis qu’on voulait neuf et qu’on voudrait quitter. La semaine suivante c’est pire les illusions se sont usées les regards du chauffeur du douanier et même celui de l’hôtesse au comptoir qu’on voudrait déjà franchi depuis plusieurs jours se sont lassés de nous voir arriver pour repartir on voudrait bientôt mais non puisqu’on vous dit rien n’est possible vous restez là, point.
La dernière semaine avant de reprendre l’avion direction le reste de la vie, on va bientôt rentrer les bagages s’amoncellent entre les portes et les pièces désertées. Le dernier dimanche on boucle une valise on vérifie un sac on continue d’aller manger se baigner farnienter mais le cœur n’y est plus. Le dernier lundi on se voit déjà là-bas retrouver la routine perdue les ami·es oublié·es les ancien·nes habitudes. Le dernier soir on se dit quelle erreur ai-je bien réfléchi n’y aurait-il pas gourance ? La voisine nous regarde de ses yeux tout noyés, les copains d’apéro trinquent sans joie les enfants pleurent en se tenant dans les bras. Le dernier matin on aperçoit le sourire las de la boulangère si gentille et entre les persiennes les gestes des collègues déçues. Non vraiment ce n’est pas raisonnable, ces gens vont nous manquer et eux nous regretter, il ne faut pas partir on ne va pas pouvoir. Avant la dernière heure s’entrouvre une fenêtre un changement de programme, une nouvelle aube se pointe à l’horizon. On peut revoir les plans bâtir d’autres projets ici et maintenant. On ne rentrera pas.
quelle excellente raison de ne pas rentrer (la seconde) mais en fait on ne peut y céder