J’allais prendre mon bac à reculons, pourtant un aimant m’attirait vers le débarcadère, une énergie qui ne m’appartenait plus, je m’y abandonnais. Il m’avait pourtant raconté son histoire, tu verras quand tu longes les fjords et que la terre s’effiloche en petites îles, la navigation devient si dangereuse, récifs et courants en embuscade. Au vingt et unième siècle tu pourrais accoster sur ces terres vierges de toute humanité, comme les explorateurs au dix-septième siècle et les baptiser de ton nom avec ce sentiment de plénitude, forte de pureté. Te voilà revenu à l’aube du monde il y a des millions d’années. Rassuré de plaisir, tu te sens tout neuf dépouillé de tes incertitudes, le paradis. Conquêtes humaines, architectes qui souillent et piétinent l’intouché. Une victoire qui apporte la ruine, n’iront-ils pas explorer ces eaux labyrinthiques à la recherche d’un gisement lucratif ?
Bibi Fricotin m’a raconté, voulait-il consoler l’enfant sans racines ? A l’aube du troisième millénaires, les Mizos retrouvent peu à peu leurs racines. Les Manassés chassés de la terre de Kanaan 2500 ans plus tôt s’enfuient vers le nord, ils s’installent en Perse, chassés à nouveau par Alexandre le Grand ils reculent jusqu’en Afghanistan et évitent leur destruction en traversant l’Himalaya, le Tibet. Réduits à l’esclavage comme leurs ancêtres lors de la construction des pyramides, ils érigent la grande muraille. Chassés par les mongols il y a plus de 800 ans, ils fuient vers le nord du sous-continent indien. Ils ont oublié leurs traditions, leur judaïsme, les pistes effacées, leur mémoire a disparu. Les protestants au dix-neuvième siècle leur apporteront l’ancien testament et le nouveau. Fait unique et inattendu en ces terres, ce peuple se convertit à cent pour cent au christianisme. Ce sont des juifs-chrétiens.
Kajurâho, ses temples du dixième siècle aux sculptures de scènes de maithuna des couples d’amoureux et à une multitude d’apsaras, êtres célestes ayant l’apparence de jolies femmes aux formes généreuses et aux attitudes pleines de charme. C’est en extase devant ces beautés que je le rencontre. L’écureuil me raconte son voyage Paris-Katmandou à bord de son VW. Son passage en Afghanistan. Le buzkachi ou jeu traditionnel de l’attrape-chèvre. Ça rend barbare, cette balle remplacée par une carcasse de chèvre que l’on jette de la main au milieu des cavaliers et qu’ils doivent récupérer à la main et à cheval, une habileté qui fait peur. Quant à la fin de la partie l’excitation est à son paroxysme et que l’étranger devient cible de leurs intentions… ouf, la police est bienvenue.