Aléas et abandons
Ce matin, traversée de Chinguetti, sac au dos, les chameaux viendraient plus tard, les dunes attendent, montée ardue, sable chaud, à perte de vue, les pieds s’enfoncent, la tête fond au soleil, paysage magnifique, elle est un peu perdue, elle marche en automate, en marionnette, à piles. Sommet gagné, bâtons plantés, panorama renversant, l’espace ondule au soleil. L’horizon est blanc dur, strié gris acier, aux turbulences ocres qui se rapprochent, le vent se lève, se renforce, elle se sent seule, elle est seule, tout le monde s’est sauvé, dispersé, elle est toute petite dans ce monde sans limites, soudain si violent. Elle a envie de crier, crier plus fort que le vent, elle tourne et retourne, ne voit plus personne, plus de chameaux, il n’y a plus que son sac, ses bâtons, il faut descendre, vite, dans le creux pour se terrer, se protéger, trouver des rochers qui l’abriteront. Livrée à elle-même, dans un paysage étranger, étrange, magnifique et hostile, il faudrait qu’elle garde son calme, qu’elle trouve en elle-même des solutions de fortune, mais elle cherche le guide, se rebelle, accuse, reproche au destin de l’avoir laissée, abandonnée dans une nature brusquement inamicale. Le vent se fait tempête, fouette le sable, obstrue la visibilité, tout est ocre, un rideau de sable mouvant, les grains piquent le visage, s’infiltrent dans ses vêtements, elle a beau se couvrir du chèche acquis à Atar, se boucher yeux et oreilles, l’air suffocant, le bruit infernal, l’assaut du sable la terrassent, la renversent, elle abandonne, attendra, espérant un sauveur…d’où qu’il vienne…
Et l’avion tournait toujours au-dessus de la ville, planait, descendait, de plus en plus bas, par le hublot elle voyait les maisons des faubourgs, le château baroque des empereurs planté dans les jardins à la française, le zoo, la gloriette, elle faisait la touriste sans le vouloir…elle cherchait une hôtesse, un pilote…hé, Monsieur le pilote, je veux descendre…pas de réponse, personne autour, elle n’avait pas remarqué qu’elle était seule dans cet avion qui n’atterrissait toujours pas, elle voyait les vignobles sur les collines, les guinguettes, des gens rassemblés, riant, chantant, levant leurs verres…je veux descendre…elle voyait la flèche de la cathédrale, les coupoles de la cité et l’avion partait direction sud-est, suivait le fleuve scintillant, le fleuve large puissant, elle voulait descendre, mais ne pouvait pas, il fallait suivre, subir, en même temps elle était curieuse, détachée, quel allait être ce voyage inattendu, ce vol au-dessus du Danube qui partait loin, qui serpentait vers le pays voisin, pas de frontières, pas d’arrêt, sur le fleuve des bateaux, des remorqueurs, des voiliers tout pêle-mêle, elle voyait les gens danser dans les rues, une ville dans la courbe formée par les collines, puis une autre, capitale superbe, les palais alignés sur la rive, des ponts blancs suspendus, à chaînes éclairées par des guirlandes lumineuses, une ville partagée en deux, puis au loin un grand lac étendu au milieu des steppes… le fleuve traversait, l’avion suivait, d’autres pays, un delta…jusqu’où jusqu’à quand…elle aurait voulu descendre, elle aurait voulu revenir…