les maisons de l’enfance (pas vraiment) oubliées (rue de Mexico) rue de Marseille, le magasin Juvénal rue Es Sadikia – et d’autres choses d’autres lieux, les 55 jours de Tunis d’un cousin – à droite à Carthage au bout de l’avenue sur bord de mer la maison de R. (son garage en bas de l’avenue de France) et à gauche celle de M. (à ce qu’il semble, le terrain où les parents firent construire fut reçu en dot) (la façade chaulée tous les deux ans et l’échelle de Filopo, les volets bleu ciel – comme là-bas comme on dit on oublie – et la buanderie le garage les scorpions noirs ébène les tessons de bouteilles au haut des murs du jardin)
(des « miennes », ici, il n’y aura rien
sinon cette image)
celle du boulevard Flandrin (jamais dormi) un noël quatre vingt trois peut-être – je ne sais plus exactement – avant la démence de ma grand-mère paternelle (elle était là – elle allait au Gaumont Alésia venait nous voir avec « le journal du dimanche » qu’elle lisait dans le train (elle apportait un cake aux fruits confits) la dernière page et les images du match tournoi des cinq nations – la première nuit sur ce continent, chez elle porte d’Orléans cinquième étage boulevard Jourdan – en entrant tout de suite à gauche la cuisine, à droite le salon salle à manger – le poste de radio en meuble, un tourne-disque sur le dessus – sur la cheminée, le jaguar ou la panthère noire offerte par le barreau à son mari (assassiné à Auschwitz convoi soixante sept février quarante quatre) – chez mon frère à présent)
la maison louée en commun avec d’autres dans une vallée non loin de la Somme type secondaire après les premières années plutôt maigres – en face du garage ford, celle dont le couloir de l’entrée va à la cuisine, à droite la salle, petit salon sur la rue, une fenêtre, au fond la courette, la salle d’eau aménagée fait moi-même et en haut de la même rue, la descente vers le tennis et les heures passées à frapper la balle contre le mur – sur le boulevard toute blanche, à un jet de pierre, celle des Porte qui jouaient si bien
(une chanson pour la route sing your own song and never forget)
celle de la rue (je ne sais plus) (je trouverai je sais où c’est – je sais où c’est souvent toujours – pas exactement) une nuit après la mort de mon père où on me vola sa montre (je croyais Charles Dubois, non, c’était Jeanne d’Arc)
celle de la place Vendôme, duplex dormir dans la chambre de la bonne (il n’y avait pas de bonne) une fenêtre donnait sur l’escalier intérieur (au même étage vivaient mon grand-père et ma grand-mère) (je n’ai su que si tard qu’il disparut fin mars soixante huit – lu sur sa tombe) (trois ou quatre nuits de juillet soixante douze) (ma grand-mère sur son lit « qu’est-ce que je fais encore ici mon amour » ses cheveux d’un blanc si doux)
celle du quai d’Orsay (jamais vue, un appartement dont le salon en rond donnait sur la Seine, quatrième étage) juste après guerre – celle du quai Gustave-Ador je dormais sur un divan, ce meuble a un nom particulier – la fenêtre donnait sur l’arrière de Migros – une photo existe de mon grand-père sur le balcon face au lac soixante et un puis trois
du côté de Dupleix, celle du notaire du frère de mon père – ou de ma grand-mère ou quelque chose (courir les diamantaires de la rue La Fayette pour céder le brillant) (un peu jaune, c’est dommage disait le type à l’oeilleton barbe derrière sa vitre épaisse de trois centimètres devant lui – la valeur du carat et surtout son poids – le cinquième du gramme)
du côté de Sèvres-Lecourbe coin Suffren l’appartement immense comment était-ce je ne sais plus deuxième étage balcon tout du long qui donnait sur la placette – l’appartement de la rue de Lancry – celui de l’avenue Secrétan et celui de la rue de Tourtille – le hamac suspendu, les jeans en tas, le blitz des échecs et puis Saint-Jean de Luz et les relents de l’usine de sardines – et puis Cambo-les-bains la piscine le jardin en pente douce au loin la Rhune le ciel bleu toute la vie du premier novembre la douceur et la radio qu’il écoutait dans sa voiture sous l’auvent du garage basque – la maison des parents de la femme de l’ami de guitare, Rosny-sous-bois, les prunes, les confitures, l’alcool passé sur les meubles
limite Pantin briques rouge Marseillaise (jamais dormi non plus) celle de E. l’oncle de mon père fin soixante dix huit – il mourut bien des années plus tard – les plateaux de cuivre au mur, et son appartement rue de Marseille (était-ce le même ?) les plateaux de cuivre au mur, l’arcade séparant le salon de la salle à manger un schweppes, une limonade ? – en bas de la rue de Montreuil, le studio qu’occupa sa femme Lucienne quand il a disparu – les gens disparaissent les lieux résistent un moment passent les années et changent les choses : l’immeuble existe toujours en face du pub où se réunissent parfois les « amis du onzième » – la rue qui court en face, c’est celle de Titon, où vivait Francis L., au mur une affiche d’Arsène Lupin deux mètres de haut en couleurs
la maison de la rue (je ne sais plus) (si, de Dunkerque) un schweppes, l’ami Gérard T. qui raconte ses débuts à l’Insee – et puis El Alamein, sa jambe et les obus – un taxi pour Tobrouk, Londres, ici Londres (la vache et le prisonnier, et Fernandel et Marseille donc, la bouillabaisse, le pastis et l’eau fraîche, les blagues avé les mains)
les hôtels de TNPPI, Pont Royal puis Montalembert puis Quai Voltaire – une nuit, celle du concours de Louis Lumière (on disait rue Rollin) impossible d’y dormir le bruit des voitures taxis grondements sourds – pour finir le Montana rue Saint-Roch
le studio de Rivoli bas de plafond le deux pièces sans le moindre couloir mais les trente mètres de couloirs pour y arriver
du côté de Créteville l’allée (platanes eucalyptus quoi d’autres de chaque côté) qui mène à la maison les chais à gauche leurs toits en ovales l’odeur du moult le chien dans le salon le miroir de Venise le grenier au milieu de l’escalier qui monte à l’étage et aux chambres – du côté de Latina l’allée qui mène à la maison, l’escalier extérieur qui va à la terrasse qui donne sur les montagnes au loin sur la droite Frosinone la fresque sur le mur de l’appartement du haut – et dans le salon salle à manger du bas, au dessus des canapés blancs le soleil en miroir de Venise – Carettoni casa antiqua et les poêles à mazout dans les couloirs, la neige qui tombe sur la grande roue installée sur la rive des esclaves – le soleil qui donne sur le lido – l’autobus qui monte sur le bac pour aller à Chioggia – aller venir San Erasmo et San Sèrvolo – partir revenir tramezzini vin blanc spumante – partout sur la lagune – et ma tante à Rome son appartement du côté du Panthéon ou quelque chose par là, piazza del Popolo ou via del Babuino le coffre fort dans le mur, le coffret à bijoux vide sinon un bout de papier déchiré (bout de journal, peut-être) inscrit dessus « vous n’aurez rien« , quelque chose de ce genre – et non loin, juste en bas de l’hôtel, le menu fixe pour tout le monde, vingt cinq euros vin compris
et tant d’autres encore (celles des enfants, du frère (Trudaine Germain Pinon Rochechouart) des soeurs (Rome ou Florence Caracas ou la Chine qui peut savoir) des cousins des parents des voisins des amis et des autres encore partout et toujours) chercher dans le souvenir hôtels ou maisons d’amis empruntées (nourrir les bêtes, arroser les plantes) les « gîtes » – pane et copperto – la Corse ou Faro Rome Florence Bologne Matinatta, Cava d’Aliga et Istanbul et Venise Kelibia ou Lisbonne Setubal et les dizaines de chambres en gares françaises (cette liste faite un jour où se retrouvent soixante-quatre noms) suisses ou belges – faire du café et sur la terrasse regarder le monde tourner – c’est l’été on s’en va c’est l’été – les trains de nuit les campings les voitures les abris (sur la plage à Quend-plage-les-Pins, dans une des petites cahutes comme on en trouve partout sur ces côtes, pour se déshabiller se changer se sécher se protéger du vent et du froid, été soixante treize (celle-là était ouverte), un dimanche, venue en caddy et dans la boite de nuit pas très boite mais assez nuit du camping « just a gigolo » rires bières – la plage et les pins en effet – dormir trois heures se lever et trouver la mer enfuie au loin du bleu du ciel inspecter ses poches et n’y plus rien trouver emprunter pour l’essence (mélange) aux amis qui restent et repartir pour réembaucher dès le lendemain à six) revenir et partir – c’est l’été
quelle merveille (et pas que, mais tout de même, si simplement vraie… la grand-mère)
me donnez envie mais comme, par paresse peut-être (parce que j’aime beaucoup tout ce qui remonte ici, et que j’ai pris parfois quelque temps pour rêver et reconstituer une réalité forcément fausse), je voudrais faire une sélection très sévère, alors ça attendra
Bravo
@Brigitte Célérier : trop gentille… (bon courage – sans trop de sévérité)
@Danièle Godard-Livet : c’est parce qu’il me fallait tourner la consigne (le principe de la liste peut s’adapter) mais l’intention n’était pas de vous perdre – désolée – je cherchais (en sachant ne pas y réussir) une certaine exhaustivité – impossible non plus. Merci de votre lecture
je suis un peu perdue, j’aime ces évocations mais je n’ai pas le temps de m’y poser comme je le voudrais.
Bonjour,
Avec votre texte, on virevolte de maison en chambre, d’oncle en cousin, de pays en capitale, on se dit une telle vie, on se demande combien on sera capable de revisiter, on se dit j’aurai du prendre des notes, remplir ces carnets abandonnés, sans date, on se dit plein de choses, et on lit, on lit, on lit !
Catherine SERRE