Le jeune de chez Pascaline ne reçoit personne chez lui. Mais parfois, il court vers la cabine téléphonique. Il décroche et il dit souvent très vite : « c’est bien moi ».
On ne sait pas grand-chose du jeune de chez Pascaline. Après son arrivée, il a passé plusieurs jours sans sortir. On voyait bien ça derrière nos rideaux, qu’il ne sortait pas. On était prêt à aller voir si tout allait bien, s’il avait besoin d’un peu de soupe, de pain, ou d’autre chose mais, le troisième soir, au moment où la nuit commençait à tomber, il est sorti en trombe, a couru le long de chez Paulette, a presque arraché la porte de la cabine en l’ouvrant et puis il est resté un long moment là-dedans, sans rien faire, porte ouverte. On regardait tous, de derrière les rideaux, ce qui allait se passer. Au bout d’un assez long moment, on a entendu l’appareil vibrer, peut-être que c’était cela qui s’était passé déjà tout à l’heure et qu’il a l’ouïe assez fine pour entendre ça de chez Pascaline -pas comme nous, sauf quand on se concentre. Il a pris sa respiration et il a dit « c’est bien moi ». Il a écouté un peu et puis il a dit encore « c’est bien moi que vous cherchez ». Là, il est resté un long moment encore mais on a compris qu’il n’y avait plus rien à écouter, d’ailleurs il a baissé les bras, il a laissé pendre le téléphone le long de sa cuisse. Mais ce n’est qu’au moment où il faisait déjà bien nuit qu’il est rentré chez lui.
Le lendemain, un peu après le midi, il est encore sorti en trombe, là on ne regardait plus, on était trop occupé à manger mais on a entendu la porte de Pascaline claquer contre le mur, alors on est tous allé derrière les rideaux pour voir. Il avait réussi à décrocher à temps, à dire « c’est bien moi ». Mais aussitôt après, « à quel sujet ? » et ça lui a sans doute permis de faire durer un peu. Il a écouté un bon moment comme s’il y avait vraiment quelque chose à écouter puis on a vu qu’il cherchait à trouver la bonne phrase mais comme ça ne lui venait pas peut-être, ça a dû raccrocher et il est resté de nouveau, le téléphone contre la cuisse, moins longtemps que la fois d’avant quand même et quand il est rentré chez Pascaline, Marcel, qui a la maison du bon côté, a bien vu qu’il n’avait pas l’air si abattu.
Peut-être même qu’il est devenu de plus en plus rusé. Il lui a fallu attendre un jour et demi, la bonne heure pour nous, pour être bien installé derrière les rideaux et là, de nouveau, la porte qui claque -y en a que ça a même réveillés, paraît-il-, il décroche à temps, son fameux « c’est bien moi » qu’il avait en fait changé en un « c’est bien ici » et puis juste après « non, c’est son frère ». Et ça, c’était sans doute très malin parce qu’il y a eu tout un moment où il pouvait répondre des « je ne sais pas », des « je suis vraiment désolé », des « je vous promets de faire la commission » -et ceux de la place qui sont tournés du bon côté de la cabine avec leurs rideaux ont dit qu’il avait le grand sourire en disant ça- et finalement des « pas de quoi, bonne soirée. » Et il est rentré, en chantant, chez Pascaline.
Il paraît que ça arrive assez souvent, que les faux numéros tombent sur les cabines téléphoniques.
Les faux numéros dans les cabines, ça fait danser les rideaux, ça fait claquer les portes et ça fait des langues déliées. Ah ben c’est super.
J’ose y voir un écho dans l’histoire suivante : un texte qu’on confie à son ordinateur, un matin de confinement ; il arrive quelques heures plus tard ce beau commentaire, faisant même voir plus de vie dans ledit texte que je ne croyais en avoir mis… magique ! Merci.