1 Enfant Il semble qu’écrire du point de vue de la petite enfance (a t’on un point de vue quand on est petit enfant ?) est une des choses qui me réjouit le plus, là, tout se confond, moi, mes enfants, avoir le double souvenir de moi et d’eux, nous les enfants … pris dans cette folie qu’est vivre. Écrire du point de vue du petit enfant comme Imre Lazlo avec Niki la chienne, à distance tendre, ou habiter l’enfant comme Faulkner a habité l’idiot dans la fureur, j’y pense souvent à ces 80 premières pages d’ « idiotie » incarnée… Tout est donné à l’enfant et il a la vie pour démêler sa pelote de sensations et s’en remettre, alors écrire au ras de ces sensations…
2 Vues Fenêtre du salon à Joinville (« salle de séjour » insistait papa), fenêtre de ce studio de la rue de Meaux où l’on a vécu à 4, (souvenir très très ancien et vague), fenêtre de notre chambre dans la maison briarde, les escapades nocturnes de ma sœur, fenêtre d’ici, tout ce que ça remue comme visions, sensations, drames et souvenirs… fenêtres épieuses lors d’une randonnée dans les Cévennes aux villages désertées, où il ne restait qu’un chien furieux aboyant après nous de l’entrée à la sortie du village, et un rideau prudemment tirée pour observer ces folles marchant un gros sac sur le dos …mais celle-là, je ne l’ai pas écrite.
3.1 Sols par manque d’inspiration et seconde de rébellion sur le mode de « mais j’ai déjà écrit du sol », le début de ce texte est repris d’une longue nouvelle datant d’ il y a sept ans au moins. C’était une histoire absolument inventée d’abandon d’enfants tout de même inspirée des moments où j’aurai bien abandonné les miens. Ce passage me semble une antiquité…
3.2 une fois le rythme en place, ai pu enchainé en partant de ces observations adolescentes, du temps où je marchais toujours tête baissée.(et me cognait souvent aux gens et aux réverbères !) La ville n’est plus pareille quand on redresse la tête, j’en viens à me dire que je devrais recommencer. Les trottoirs des villes étaient plus animés alors, plus répugnants aussi.
3.3 Les plaques d’égout sont une de mes marottes de la même époque, j’en dessinais sans cesse dans les marges de mes cahiers avec une petite pancarte où j’inscrivais « exit », inspirée par les dessins de Cardon vus dans l’Humanité Dimanche.
3.4 Un de mes premiers (faux ?)souvenir est la vision des trottoirs de Paris un jour de marché, écrit avec délectation cet été, à hauteur d’une môme de 3 ans, preuve que les sols me renvoient à quelque chose de très lointain mais intime.
3.5 Comme beaucoup d’enfants je jouais sous la table de la salle à manger (salle de séjour insistait mon père…)qui faisait cabane. Le weekend il rédigeait « ses rapports », mission de haute importance semblait-il qui exigeait que nous soyons particulièrement calmes, il mettait de la musique sur l’électrophone, le samedi soir on écoutait France inter. Nous n’avions pas la télé, ça nous distinguait et me chagrinait. Cette table en acajou est chez moi aujourd’hui, je me suis donc accroupie dessous pour retrouver la sensation d’être blottie mais je me suis juste cogner la tête contre le plateau. Je ne sais pas pourquoi j’avais des petites voitures, est-ce parce que j’étais née après le petit garçon mort de naissance ? L’avais-je demandé ? Peu importe, elles m’amusaient beaucoup, c’étaient des personnages comme les autres, tout m’était théâtre, de même que j’enviais le garage à rampes de mon voisin du dessous. Il s’appelait Dominique et nous jouions aussi aux cowboys, ça tournait au phantasmes avec sauvetage de l’indienne emprisonnée que j’incarnais avec délectation.
3.6 le dernier sol vient de la maison de la Brie acheté par mon père qui détestait pourtant la campagne. L’a t’il achetée pour offrir un havre régulier à ma mère ? Aucune idée, mais ce fut la grande aventure de la découverte de la vie rurale, et la ruralité à l’époque était vraiment dépaysante ( !) ce sol j’en vois encore les fêlures. Et les odeurs, les gens, les fermes, les chemins, tout peut venir derrière ce sol de tomettes…
3.7 Chats J’y ai apprivoisée un chaton abandonné. Le premier des trois chats de ma vie. Un mâle aventureux qui a disparu à jamais un week-end « Je suis le chat qui s’en va seul et pour qui tous les lieux se valent » Kipling… J’aimerai de nouveau la compagnie frôleuse et discrète d’un chat mais devenue vieille toupie qui refuse qu’on abime ses fauteuils…
4. Télé une ou deux fois par an, on allait voir cette cousine de ma mère et puis l’habitude s’est perdue, je ne sais pas ce qu’elle est devenue, enfin, elle avait la télé (et des poupées à robe de laine crochetée déployée sur son lit !) et toute personne possédant une télé avait une bonne place dans mon olympe personnelle. Donc en premier lieu, ce souvenir qui s’est précisé à mesure, au début juste cette trop grande table et nous trois autour, mon regard rivé sur la TV éteinte, et puis la petite phrase toute bête « ce qu’il y avait » a été le starter du texte. J’en ai peut-être abusé. La question : je garde ou pas ?
5 Haine L’autre vie, celle de l’été, celle du monde luxueux hérité de la grand-mère paternelle, ici la villa de son amie où nous allions nous baigner au moins une fois chaque été. Cette très vieille femme m’a appris à nager, fascination pour les plis et replis de sa peau sur son corps déformé. La splendeur des lieux, et la fureur perceptible dans ses relations à « ses gens », détestant être servie/ incapable de ne pas l’être, et les serviteurs détestant servir et/ impossible de ne pas le faire, ce lien de haine farouche. Je revois au travers de mes yeux d’enfant des choses que je ne savais pas savoir. Le fauteuil roulant rouillé du défunt mari dans la serre brûlante, quels jeux, quelles disputes, quelles terribles postures des adultes ! Tout ce qui se révélait là, qui se rendait silencieusement perceptible, que l’enfant décrypte à toute allure sans même savoir qu’il décrypte et comment ces micro-signes infléchissent (déforment ?) sa personne à jamais, et toute une vie ne suffit pas à déchiffrer ces chiffres enfouis dans la mémoire…
6 Épiphanies… Une chose est sûre, la révélation de la maladie de ma mère a eu lieu en septembre dans cette maison de la Brie. La scène est tout à fait précise dans mon souvenir, genre de début d’une épopée un peu spéciale. C’est parti de là, de sa posture, assise devant la lucarne de sa chambre (décidément) et ce à quoi ça nous a tous conduits ! voilà le thème revient, têtu après trente ans de paix, et je sais bien pourquoi que je ne dirai pas ici.
Une seconde révélation, l’entrée au lycée, petit lycée disait-on, une déflagration aussi, la même année, le monde qui s’ouvre, intensément. Et puis se referme violemment. Éviter le pathos…
Autre épiphanie, le jardin. Petite ouverture, mais bien plus solide au final comme un fil d’Ariane à suivre.
7 la mort de maman. Tout d’un coup c’est là. Irrémédiable.
8 Ménage Jamais écrit sur elle, ou si peu, elle vient de mourir à 103 ans, ce qui n’est pas mal pour une angoissée, une vie si étriquée, ce qui a soulevé les vieux limons pourris, m’a conduite à Nice, à revoir ceux qu’on ne voyait plus, c’est un genre d’épitaphe, pas très gentil, qui m’est venu, mais ça m’a un peu réconciliée. Il faut savoir se souvenir des gens tels qu’ils étaient, me dis-je, et tacher de les aimer tels, si possible. Ce qui est amusant c’est que ces dernières années, elle avait si bien perdu la boule qu’elle embrassait tout le monde et se montrait très joyeuse. Il y a des gens à qui il faut Alzheimer pour enfin apprécier la vie…
8.2 Toujours voulu écrire sur le ménage. Le ménage : aliénation ou méditation ? le ménage pour secourir une mère, le ménage obsessionnel, le ménage don des femmes qu’on dévalorise pour les dévaloriser, le beau ménage, cette métamorphose invisible pour la plupart des hommes (sauf mon père quelque peu obsédé d’hygiène avec sa ménagère en déroute) le ménage est un continent noir
9 Il est là, sous mes fenêtres, je ne regarde plus ce rack à vélos de la même façon depuis que je l’ai croqué. Je ne sais ce que je vais faire de ce texte mais quel plaisir…
10 Mort directement emprunté d’une récente et émouvante promenade dans un ravissant cimetière du Perche avec une amie qui venait de perdre sa maman, et cherchait des idées pour orner sa tombe. J’ai été saisie par la présence des morts, supérieure à celle de bien des vivants. A vrai dire j’ai découvert assez tôt et solitairement la douce compagnie des tombes dans ce petit village briard de 300 âmes où l’on retrouvait les noms des vivants, leurs aïeux, un fragment de leur histoire parfois. Des récits se dévoilaient là. Et il y avait aussi le coin des enfants, les tombes d’enfants m’ont marquée, je ne pensais pas directement à l’enfant sans tombe de ma mère, son chagrin jamais dit auquel j’ai cru longtemps devoir la vie. Être née d’un mort ça configure singulièrement. je ne me savais plus si obsédée par la mort.
11 Sable se prendre pour Ponge quand on est à la Baule… cet exercice me rappelle ce que m’avait dit mon prof de dessin au lycée : « dessiner c’est d’abord et surtout regarder » les rivages toujours…
nous nous risquons en même temps…
lu avec sourire, intéret et puis il y a ce formidable portrait en 5
Que j’apprécie la lecture de ces exercices sur les notes à devenir-créer son dictionnaire. De l’intime sans l’être, et pourtant… le suintement heureux et terrible de l’enfance à chaque phrase et détournement de propos. Un résonance forte avec le 3.5, le 1. et ce 2. qui précise « mais celle-là, je ne l’ai pas écrite » et qui porte tout son intérêt et son charme d’aveu, comme les importances qui sont mises entre parenthèses avec l’envie de demander : « Mais Keskelditlà ? Un grand merci pour cette lecture !
Sais pas elle-même keskelditlà… 😉
Superbe ! Ces notes forgent un texte à elles seules, magistralement articulées par le premier paragraphe « Tout est donné à l’enfant et il a la vie pour démêler sa pelote de sensations et s’en remettre, alors écrire au ras de ces sensations… ». Alors plus qu’un texte, peut-être une voix qui évoque, scrute, incise, pense, s’attriste et recompose. Je rejoins CM Le Guellaf sur les parenthèses, ce qui s’y loge mine de rien et semble prêt à se déployer. Merci Catherine Plée
ah mais vous êtes trop mais trop gentilles !
Notes riches où le je revient en maître… ai été touchée particulièrement par Chats, par la brièveté de la 7, et par la 10, incontournable pour moi, avec ses tombes d’enfant…
merci Catherine pour ces confidences finalement !
oui, merci Françoise, il m’a fallu lutter contre de grosses réticences, en revanche, je crois que ça a une vraie utilité pour prendre un peu de recul, observer un peu ce qui s’est passé, en espérant que ça permette la poursuite d’un processus d’écriture, mais le terme « confidences » me fait frémir…
C’est vraiment beau, juste. Fait écho aussi pour certains passages. Merci !
Merci infiniment Jeanne
Sacré boulot madame ! Un petit mot en plus de celui laissé sur ton Facebook. Crois en ton écriture ! Surtout, crois-y ! Bises.