C’était une femme sans bouche. Pourtant j’avais bien entendu une voix dans l’interphone.
─ Je voudrais des nouvelles de Paul.
D’habitude, je ne réponds même pas à l’interphone. D’un côté, je n’ai pas regretté, c’était une belle femme, en jupe assez courte. Une fois devant elle, je ne savais que répéter.
─ Vous voudriez des nouvelles de Paul…
Il sortit d’elle un murmure d’approbation.
─ Bon, je vous sers un verre d’eau fraîche.
Nouveau murmure.
Je lui tournai le dos pour aller faire couler le robinet le temps qu’il faut pour avoir de l’eau fraîche en juin et en remplir un assez grand verre.
─ Je voudrais vraiment des nouvelles de Paul.
─ Moi aussi.
Je répondis en me retournant le plus vite possible sans renverser l’eau du verre assez rempli. Pas assez vite peut-être. Elle était toujours sans bouche. Sa jupe était blanche.
─ Vous pourriez vous asseoir…
Je posai le verre sur le bar et, vite, je me retournai de nouveau pour aller chercher le tabouret haut qui me sert de pupitre aux répétitions et l’approcher du bar. C’est donc de nouveau le dos tourné que j’entendis :
─ Oh, vous savez, je ne vais pas rester longtemps.
Je revins avec le tabouret en prenant tout mon temps pour l’installer bien en face du verre et d’un simple geste je le lui désignai. Effrontément je la regardais se hisser tout en tenant le bas de sa jupe et s’asseoir. Je la fixai alors dans les yeux.
─ Vous aimez bien les tabourets hauts ?
Un murmure me répondit, qui pouvait bien être d’approbation. Je baissai alors la tête puis la relevai prestement, refusant de céder à l’accablement…
─ Vu l’heure qu’il est, on pourrait carrément prendre l’apéro…
Et repris par mes obligations de maître de maison je fonçai sous l’escalier où se trouve le carton aux bonnes bouteilles et m’accroupis pour lui en faire un inventaire méthodique.
─ Vous n’avez pas du vin de chez Paul ?
Je manquai de tomber par terre après avoir failli m’assommer contre le dessous de l’escalier.
─ Non il ne m’en reste plus mais j’ai des trucs pas mal…
Murmure encourageant.
Je lui tournai de nouveau le dos pour procéder à l’inventaire en bonne et due forme mais elle ne laissa même pas commencer.
─ Si vous avez du vin de noix…
─ Justement, j’en ai du fait maison, de chez mes parents…
Je pris tout le temps qu’il fallait pour me retourner avec le souci de ne faire tomber la bouteille et je pris aussi tout mon temps pour aller cueillir sur l’étagère deux petits verres roses à pied que je déposai sur le bar. On aurait pu croire à l’échafaudage d’une stratégie.
Lorsque tout fut bien en place et la bouteille débouchée, elle eut un murmure d’approbation, qui me parut alors déplacé. J’en fus presque agacé. Mais je remarquai que la position assise sur le tabouret haut avait fait remonter sa jupe blanche bien au-dessus du genou et qu’elle était tendue entre ses cuisses. Je n’oubliai pas qu’elle était sans bouche, sans bouche apparente du moins. Pour dissimuler mon trouble, je me retournai, comme s’il était question d’aller chercher des amuse-gueules d’apéritif.
─ Paul compte beaucoup pour moi.
─ Vous le connaissez depuis longtemps ?
Et là, j’eus la très nette sensation qu’elle attendait que je me sois entièrement retourné -et pourtant je prenais tout mon temps- pour me lâcher à la face un de ses fameux soupirs.
─ Vous savez, je ne peux pas vous proposer de rester à dîner. Je n’ai rien… Enfin rien d’autre que des trucs de célibataire solitaire !
Pour la première fois depuis qu’elle était entrée, elle sourit. Elle croisa ses jambes avec un geste gracieux du mollet et de la cheville. Je me sentis bête.
─ J’espère que vous allez aimer le vin de noix, mes parents en sont assez fiers. Ah, mais…
Et je me levais très vite pour aller chercher au frigo des glaçons parce qu’au mois de juin, une telle boisson, cela se prête bien aux glaçons, pas comme en hiver…
─ Donc, vous non plus vous n’avez pas de nouvelles de Paul ?
J’eus la sensation du coup en traître.
Elle vida son verre et sortit sans me laisser le temps de me retourner.
Bravo, un texte étrange où on est charmé par ses jambes superbes et dérangé par cette absence de bouche, comme un tableau surréaliste venu du passé.
…( un peu Michaux aussi ). L’activité incessante de l’homme. La femme assise . Et boire, souffler, parler avec cette bouche absente . Un mouvement et un malaise qui inspirent. Merci