La route de graviers et de sable se mue en poussière sous la pression de mon pas. Depuis combien de temps cette marche forcée en avant ? La Camargue à l’échelle d’un continent. Voilà où nous en sommes elle et moi. Dans cette végétation revêche, chagrine, imberbe sous un soleil de plomb. Condamnées à claudiquer sous le bleu du ciel, par moments strié par la bande blanche des avions. Si j’avais su … (combien de kilomètres encore ? ). Aucune réponse. Voyons où elle est passée celle-là encore ? Je la cherche du regard, l’étendue est vaste, sans relief et je crie, je crie pour moi seule (j’arrête, j’arrête tout). Ce n’est pas la première fois que je la menace et elle s’en fout, elle arrive en sifflotant, me saute sur l’épaule (avance Mistinguett, on n’y est pas, patiente, couvre-toi du fichu et tais-toi) elle pérore, elle sait qu’elle a le beau rôle, mon guide. Xxl a les yeux noirs, tout ronds, un coup de reins à faire pâlir plus d’une fille et un caractère de chien. Voilà. La chaleur ne la gène pas même grasse comme elle est. Aucune compassion. Aucune pensée ou parole charitable. Mon guide est un fossoyeur en habit de soirée. Oeil-de-glaçon-qui-ne-fond-pas et queue noirâtre qu’elle porte effilée et comme coupée en deux dans sa longueur. Insolente (faut te calmer, économiser tes forces. Tête en l’air que tu es). Elle ose tout. Tête en l’air ! Mauvaise fois la belle. Le vent me souffle dans les oreilles, entre dans les yeux, rampe sous la jupe. Xxl s’en fiche du vent. Comment ai-je pu la choisir comme guide ? Au milieu des marais, des eaux dormantes, des hautes herbes rachitiques qui tiennent debout on ne sait comment, je suis à sa merci. Je fulmine. Elle jure de toutes ses plumes dans un grincement d’hallucinée et m’exhorte à continuer (Dieu sait où Xxl va et toi, tu es trop stupide, suis-moi en silence, tu effraies les moucherons). Le vent ne l’effraie pas, au contraire, elle aime quand il se manifeste, elle se laisse porter et sa queue s’égaie, flotte danse sans battements d’ailes. (à vous voir, je ne risque pas l’idolâtrie ! ) De fait. Dans mes habits amidonnés par la crasse, j’explore le vide alentour, mes ongles ont grandi, mes cheveux sont galvanisés par la poussière et ma bouche est amère. Vers elle, mon poing levé (égoïste ! oiseau de mauvais augure ! ) Mais elle ne se vexe pas, jamais et dans un gazouillis grassouillet (jalouse, jalouse, jalou……..se). Epuisante et futée, tantôt elle me suit, tantôt elle me précède. Un rhinocéros d’une couleur de lune lui dicte le chemin et imperturbable, pattes repliées, elle survole prairies et bocages jusqu’à la nuit. Sous les étoiles, nous nous arrêterons et le printemps sera là. Entre deux tournoiements, mon guide me le dit.