Imaginez de voyager avec Monsieur Charles Pfizer. Grosses moustaches blanches, barbe style début du XIXème, cassée à la moitié du menton comme une sorte de papillon poilu, yeux noirs qui te regardent. Fixement. Charles Pfizer est un aventurier qui quitte l’Allemagne avant qu’elle n’existe. Originaire du Royaume de Wurtemberg, il immigre aux Etats-Unis au début des années 1840 et là partagé entre un monde et l’autre, partagé en deux comme sa barbe entre un hémisphère et l’autre de son visage, il fonde une société à son nom Charles Pfizer & Co. La société continue depuis, à travers les siècles. Elle est devenue le troisième groupe pharmaceutique du monde, mais elle a perdu son prénom. A Monsieur Pfizer je pose des questions tous les jours. Il est toujours avec moi. Depuis qu’il habite mon corps, depuis que son nom est rentré dans mes cellules et qu’il est là à me protéger, il est devenu mon ministre de l’intérieur. Je suis Pfizer, moi aussi, je porte ces moustaches blanches style empire au tréfonds de mes cellules. Dans les années 1840 Charles Pfizer travaille avec son cousin, Charles Erhart, peut-être qu’ils ont voyagé ensemble vers les Amériques, en s’embraquant d’Hambourg ou d’un autre port du Nord de l’Europe. Charles et Charles. Ils sont là sur le pont du paquebot et ils parlent densément. Un chimiste et un confiseur. Ils voyagent en première classe. Peut-être. Peut-être que Monsieur Pfizer a payé le voyage à Monsieur Erhart. Ils aiment mettre la main à la pâte, ils experiment sans cesse et une fois à New-York ils créent un laboratoire et ouvrent un commencer au coin de la Harrison Avenue et Barlett Street, à Brooklyn. Leur succès réside dans ce goût de noisette qu’ils ajoutent à la santonine, remède contre les vers intestinaux. De là une longue histoire, qu’on pourrait raconter chapitre par chapitre, à travers tous les principaux et infinitésimaux événements de l’Histoire. Et oui c’est clair que Pfizer rentre dans nos corps depuis presque deux siècles, il immobilise et il en chasse les vers en les faisant mourir directement dans nos intestins, il arme nos cellules contre les virus, il bataille contre nos ennemis de l’intérieur. Un bienfaiteur. Sa carrière commence avec ce goût de noisette et Pfizer c’est un succès depuis. Il a inventé le Viagra et vendu les pastilles Vichy. Mais mon idéologie et mes moyens publics et étatiques ne me permettent pas de soutenir calmement le dialogue avec Monsieur Charles Pfizer, de suivre les aventureux développements de son entreprise et d’accepter pacifiquement cette intromission mondialement opérée au sein de nos corps. Nous disputons souvent. Il considère que je parle trop et que je ne comprends pas assez la mécanique du monde.