Nuit. Nuit noire. Une tombe.
Vous êtes morte et dans cette tombe rien, non rien ne vous reliera plus jamais aux humains. Et ce que vous étiez alors dans ce corps, un corps parfois encombrant, vous ne l’oublierez pas. Vous n’oublierez pas la façon dont vous êtes lentement entrés en contact, l’apprentissage de sa présence, l’apprivoisement de l’absence de l’esprit. Vous n’oublierez pas les étapes de la domestication, l’accommodation puis l’accueil de la vie sensible, par le corps. Vous aviez voulu croire que la chair était cette chose qu’on pouvait laisser de côté, qu’on pouvait négliger. Vous avez voulu toucher l’os, vérifier sa matérialité. Vous n’oublierez pas. Vous ne prendrez pas ce risque car vous menacez de dissolution complète tout ce que jusqu’ici vous avez cru bon, puissant, digne d’intérêt. Vous ne mettrez pas en scène la mort comme disparition de l’âme, c’est le corps que vous représenterez et le néant qui menace. Pour conserver la trace de son enveloppe, pour inscrire le parcours de chaque veine, la courbure de chaque organe, vous avez tracé une carte, imprimé la moindre parcelle (je l’ai fait). Vous avez laissé couler l’encre sang de mon cœur, souffler l’air flot de ma voix. Vous avez cherché les lieux d’une incarnation (j’ai beaucoup cherché). Vous avez déplacé le corps dans la lettre (oui). Que celles qui se forment sur la page en boucles dansantes soient mémoire, qu’elles soient promesse, le murmure à jamais
vous n’oublierez pas
vous n’oublierez pas
vous n’oublierez pas
(je n’oublierai pas)
C’est physique et noir. Très physique et très noir. On en sort imbibé par l’injonction. Très beau texte.