Bonsoir… non ne fais pas attention, il fait trop splendidement nuit dans ce jardin et tu ne peux pas me voir, et puis bien entendu tu ne m’as pas reconnue dans la petite foule quand tu es arrivé | nous devons faire partie d’une fournée d’invitations comme elle les lance de temps à autre – longtemps que je n’étais pas venue – pour toi je ne sais pas, j’ignorais d’ailleurs que tu étais dans le coin | et comment m’aurais-tu reconnue depuis si longtemps, si même tu t’es souvenu de moi pendant quelques mois en constatant que je ne venais plus puisqu’il y a eu cette lettre… moi si, j’ai cru te reconnaître, assez pour sortir dans le jardin, et assez ensuite, maintenant, obéissant à ma logique fantasque, pour t’adresser la parole | et puis j’ai interrogé | et même si nous nous sommes tassés un peu, élargis sous le poids de toutes ces années, je sais que cette carrure qui se découpe contre la lumière du salon est la tienne…. Mais n’ai pas peur, avance au devant de la douceur de cette nuit que tu est venue chercher. Ne cherche pas à te souvenir, je vais me taire, ou te parler très bas, assez bas pour que tu puisse l’ignorer et puis te vouvoyer puisque sommes des inconnus. Sentez vous ce bouquet d’odeurs que nous envoie la nuit, êtes vous capable de les identifier, hors le piquant iodé que sent l’imperceptible ressac au fond du jardin… non je ne suis pas dans la gloriette… Le parfum d’autres nuits, ailleurs, autrefois, vous en souvient-il, ou cette odeur d’humus, de bois, d’herbe humide, de mures écrasées, a-t-elle fait si longtemps partie de votre vie que vous ne puissiez plus distinguer les époques où elle était votre et les moments d’absence… le bruit du ru dans le noir aussi et le chant des crapauds ; avez-vous oublié notre promenade nocturne à quatre et nos rires, à l’amie et moi, en assistant à l’assaut des petits mâles et à la souveraineté de la femelle, du moins c’est ce qu’elle a prétendu… en fait j’ai surtout vu la fuite que nous provoquions. J’ai rencontré par hasard votre image il y a quelques années au détour d’un site internet et je sais que vous aussi vous avez abandonné ces petites montagnes limousines où le groupe avait abrité son refus du monde installé, sans doute avez-vous aussi rangé soigneusement, les conservant juste comme un petit viatique ,nos illusions. Me souviens d’avoir vu qu’était devenue blanche votre barbe, me suis demandé si vous la parfumiez toujours quand une jeune femme inconnue entrait dans votre monde. Merci d’être toujours aussi taiseux, je n’en abuserai plus très longtemps. Juste le temps de saluer l’image qui me revient de vos mines lamentables, à vous et à votre chien, le jour où vous aviez décidé de vous en séparer parce que le jeune fou chassait tous les canards des fermiers du coin. Ce chien que vous avez gardé finalement puisque votre lettre faisait allusion à vos longues promenades solitaires avec lui dans la beauté de la campagne au petit matin, cette lettre qui m’a cueillie un soir où rentrais épuisée et si triste d’une journée de bagarre avec le monde des propriétaires et locataires dans ma petite chambre, que j’ai voulu jeter sans le pouvoir, que j’ai coincée avec une colère navrée dans un livre, sur laquelle je suis retombée deux ou trois fois, qui semble avoir disparu… sans doute ai-je prêté le livre à quelqu’un… Je ne dirai pas que je suis désolée d’avoir profité de cette presque rencontre dans le noir pour dire adieu à ce qui me restait de souvenirs. Je vais sortir par le portillon du jardin et marcher lentement le long de la mer. Ne rallume pas une cigarette – te souviens-tu des Boyards posées à côté de ma planche ? – et retourne vers les autres. Je vous souhaite une belle fin de séjour.
Les Boyards, je suis allé si souvent en acheter, c’est un très joli texte emprunt de nostalgie. Merci.
MERCI – pour les Boyards (maïs de surcroit) on prétendait qu’elles étaient plus grosses que moi
Nostalgie et tendresse mêlées dans ce joli texte avec de précieux boyards
sourire aux précieux boyards (faut être vieux et fumeur pour les avoir connus)
(le temps se mesure peut-être en Boyards?) Quel beau texte Brigitte. cette irruption du passé dans un présent qui sera tenu à distance. Cette voix qui renoue les fils du temps. L’autre (toi-vous) et tous les parfums de jardins en nuits. De cette nuit où tu le vois de ces nuits où vous étiez « …Le parfum d’autres nuits, ailleurs, autrefois, vous en souvient-il, ou cette odeur d’humus, de bois, d’herbe humide, de mures écrasées, a-t-elle fait si longtemps partie de votre vie que vous ne puissiez plus distinguer les époques où elle était votre et les moments d’absence… »
grand merci à vous Nathalie
Merci Brigitte pour ce beau texte, ses odeurs, ces parfums, cette fouille en mémoire, ces énormes cigarettes brunes et fortes plus chères alors que les Celtiques. Voyage partagé. Dans l’espace, le temps, l’émotion. Et « marcher lentement le long de la mer ».
vous savez quoi ? ce texte (magnifique) a comme un petit goût de fraises sauvages (merci à vous) (il y a le long de la plage, mais c’est le matin, très tôt, toujours, de gens short tshirt chapeau qui marchent l’eau sous le genou, et vont et viennent et vont encore dans l’à peine soleil – aussi) (merci à vous)
Ugo, Piero grand merci à vous pour le cadeau que vous me faites
je reviens vers vous, Brigitte, toujours, et j’y trouve des images de l’avant et de l’après
les odeurs sont aussi des images
merci Françoise