Lorsque j’ouvre les yeux, c’est son visage qui est devant moi.
Il me parle. Du moins je déduis qu’il me parle puisque je vois ses lèvres alternativement s’ouvrir puis se refermer. Je sens son souffle sur mon visage, son haleine est chargée, un peu incommodante. Si je me concentre je peux même sentir une légère vibration rythmique sur la peau de mes joues. Il s’est penché sur moi. Du moins je déduis que je me trouve allongé a priori dans un lit- la sensation sous mon dos est plutôt agréable- et qu’il a incliné son buste vers l’avant pour se placer bien face à moi. Les néons que j’aperçois au plafond derrière sa tête confirment la position respective de nos deux corps.
Seulement voilà je n’entend rien.
Pourtant je vois bien qu’il se donne de la peine. Il s’est approché de mon visage. D’un peu trop près à mon goût. Il se situe dans mon « espace vital », zone où habituellement je recule d’un pas pour montrer à mon interlocuteur qu’il n’a pas le droit de se trouver là, que cet espace proche de mon visage m’appartient, m’est vital. Cela me met mal a l’aise mais je ne lui en veut pas: je comprends qu’il se donne beaucoup de mal. J’essaie de lire sur ses lèvres. Elles sont charnues presque violacées. Un peu gercées. Il les étire, les arrondie, les pince- elles deviennent alors quelques secondes un peu plus pâles- il ouvre grand la bouche. Sa langue n’est pas en reste: elle s’aplatit, remonte et vient claquer contre son palais. Par moment j’aperçois même sa luette brillante de salive. D’ailleurs, il n’y a pas que ses lèvres qui me parlent. Tout son corps entier est plongé dans ce qu’il essaie de me dire. Ses yeux tantôt luisent, tantôt se recouvrent d’un voile. la ligne de ses sourcils suit le même mouvement que ses lèvres. Il plonge ses épaules vers l’avant lorsqu’il semble me poser une question puis se tasse sur lui même, lorsque son expression laisse à penser qu’il me raconte quelque chose.
Cela se passe aussi dans ses mains qu’il a posé délicatement sur les miennes. Je peux les sentir se tendre, trembler ou au contraire s’abandonner contre les miennes en une caresse qui me rassure.
Je me concentre, jusqu’à en avoir mal à la tête et aussi un peu la nausée. Je désirerais tant comprendre ce qu’il me dit. Cela a l’air très important. Et puis je vois bien qu’il se donne beaucoup de mal. Je voudrais lui faire plaisir.
Tout à coup son attitude change. Il lâche mes mains, s’éloigne. Un orage se dessine dans le ciel de ses yeux. Voilà, c’est de ma faute: il s’impatiente. Il est en colère que je ne lui réponde pas. Que je ne fasse aucun effort. Je voudrais lui dire à quel point c’est faux, avec quelle force j’essaie. Mais je peux pas.
Alors pour échapper à sa déception je ferme les yeux. Aux travers de mes paupières closes, je sens qu’il n’est pas parti, son corps tout entier irradie et palpite, continue de me parler.
Je m’en veux, tout cela m’attriste je me sens coupable, responsable. Une larme coule sur ma joue droite.
Je ne trouve pas d’autre issue que le sommeil. Je me concentre pour essayer de m’endormir. Pour ne plus subir ce quiproquo. Lorsque je me réveillerait tout sera comme avant j’en suis convaincu.
Ce n’est que dans les limbes du sommeil que la vérité me saisit à la gorge. Tout me reviens d’un coup: l’explosion, la foule, les cris, la panique, la douleur. Le vacarme, les sifflements , les acouphènes.Suivi du silence. Sourd et pesant. Éternel
je l’ai lu avant de dormir ce dialogue qui m’a poursuivi dans l’obscurité. Les sensations physiques qu’il déclenche . Le vertige. L’urgence. L’incommunicable . C’est fort.
Merci de ta lecture Nathalie !