La rue du Commerce était presque vide en ce début d’après-midi, juste après la rentrée des classes, la reprise du travail dans les bureaux, un peu avant que les cars déversent les touristes ayant déjeuné à Arles. Un mini-bus électrique venait de me croiser, un groupe avec enfants sortait d’une boutique avec des cornets de glace, deux femmes de l’âge que l’on dit sans, quand le corps s’avachit un peu, venaient face à moi louvoyant pour regarder les quelques façades de mode féminine et à une centaine de mètres devant moi un couple marchait la main dans la main. Il était assez grand, jeune encore et sans doute plutôt beau disaient les épaules larges et les hanches sans graisse, nuque droite sous un faux panama ; elle était presque de même taille, mais pas tout à fait, et je voyais son visage de trois-quart levé vers lui pour donner force à ses remarques. Ai regardé une boutique de savons, ai pensé qu’il fallait que je regarnisse ma réserve de Fer à cheval ou de Marius Fabre, ai retourné tête vers le bout de la rue, ils avaient légèrement ralenti et instinctivement en ai fait autant, il avait tourné la tête vers elle, il répondait, son nez impérieux parlait désaccord, peut-être était-ce illusion de ma part, mais j’ai vu qu’elle tournait légèrement l’assemblage de leurs mains en les balançant pour se dégager. Me sentais un peu coupable de les presque espionner mais m’en amusait, et quand se sont arrêtés devant un salon-de-thé-restauration-rapide au décor délicieusement et ridicule féminin sous une guirlande de fleurs artificielles je me suis prise de passion pour le contenu de mon sac, puis pour la recherche d’une photo à prendre, ai ajusté au dessus d’eux sur la tranchée de lumière de la ruelle à l’entrée de laquelle ils discutaient, ai hésité, et puis simplement me suis adossée à la vitrine blanche d’une boutique abandonnée de l’autre côté de la rue et j’ai rêvassé en regardant sa bouche à elle s’agiter, comme ses boucles, son impassibilité dubitative à lui, sa main à elle qui retrouvait la sienne, qui le trainait devant le menu affiché sur un panneau, la main libre qui montrait, qui détaillait, le menton levé vers lui, la façon dont il se penchait vers elle, tournant la tête pour me laisser voir un sourire patient puis amusé puis résigné puis tendre, et ils se sont dirigés vers la porte, les tables de bois bleu pale derrière la vitrine pendant que reprenais mon chemin.
image ©Brigitte Célérier – Avignon
Très visuel, et très touchant ce regard du narrateur avec entre autres l’envie de prendre une photo et puis finalement d’y renoncer pour se laisser aller à la rêverie qui se déroule sous nos yeux ! Merci
trop gentille… alors que tout me confirme que devrais abandonner
ne sais pas ce qu’est ce « tout » mais pas pour moi, très mignon petit couple où lui cède, c’est pas tous les jours, non ? On y retrouve l’atmosphère de vos balades de soi-disant paumée du blog… que j’ai un peu laissé tomber ces derniers temps, excusez-moi, je laisse un peu tout tomber ces derniers temps…
Catherine pardonnerai d’autant mieux que je fais pire (quasiment rien lu, n’y arrive pas)
Enfin! Les fictions de Paumée ! C’est une leçon de voir comment tu noues la consigne avec ta pratique quotidienne. Je n’y arrive pas encore et tout est épars chez moi : le journal, les mots, les Sérail, Alice…
Merci Brigitte
un seul chantier pour moi… tenter de vivre sans enquiquiner 🙂 c’et déjà assez difficile et loupé !
mais un grand merci à tous (en plus je déserte aussi par trop la lecture des autres, deviens très très lente)