Elle l’avait bien vu ce garçon. Mais elle ne l’avais pas regardé. Ou elle l’avait regardé sans avoir l’air d’y toucher. Elle avait bien vu qu’il la regardait. Elle n’aime pas ça, les regards que l’on pose sur elle. Elle se dit que ce n’est pas fait pour elle. « Mais qui t’es ? T’es qui toi ? Comment tu t’appelles ? », c’est ce qu’elle aurait bien aimé demander au garçon, comme dans le bras de fer d’Higelin. C’est ce qu’elle n’aura jamais fait dans sa vie. Poser ce genre de question parce qu’elle s’était dit que tout ceci n’était pas pour elle. Que tout ceci ne la concernait pas. Que tout ceci était fait pour les autres, mais pas pour elle. Elle préférait « être seule que mal accompagnée ». C’est ce qu’elle répétait, et c’était vrai. C’est ce qu’elle pensait. Elle préférait sa morne solitude à une morne vie à deux. Elle ne voulait pas encombrer. Elle ne voulait pas imposer sa maladie à quelqu’un. Elle ne voulait pas imposer ses voix à d’autres. Elle voulait garder ses voix pour elle, car elles ne regardaient qu’elle. Elle était en rémission. Elle n’entendait plus de voix. Elle avait peur de retomber dans ses voix, que ses voix ne la lâchent plus. Que trop d’émotions lui parlent, que trop de voix lui parlent. Trop de voix insupportables. Elle préférait sa rémission. C’était plus confortable, même si elle ne se confrontait pas au réel. Elle préférait son irréalité. Parce que c’était mieux pour elle de ne pas affronter la réalité. C’était plus confortable. Il y avait trop d’émotions dans le regard de ce garçon. Elle avait préféré esquiver. Tout ceci n’était pas pour elle. Tout ceci était pour les autres, fait par les autres pour les autres. Mais pas pour elle qui ne voulait rien imposer à d’autres. Elle s’imposait déjà à elle-même, en toute discrétion. Ce n’était pas pour s’imposer aux autres. Il y avait trop de curiosité dans le coup d’œil de ce garçon. Elle, elle préférait se cacher. Elle préférait ne pas se montrer. Elle préférait ne rien montrer pour ne pas faire entendre ses voix. Ses voix n’étaient qu’à elle. Elles étaient faites pour elle. Elle ne devait rien imposer. Il était peut-être trop pressé, ce garçon. Elle, elle n’avait jamais voulu avoir de mari. Depuis qu’elle est toute petite, elle sait qu’elle ne veut pas d’enfant. Elle, elle rêve du prince charmant. Elle préfère cette irréalité. Elle préfère ses songes et ses chimères à la réalité. Elle déréalise. Elle préfère déréaliser. Elle avait perçu trop d’empressement dans les gestes de ce garçon. Elle, elle était lente. Elle était indolente. Elle préférait se bercer au soleil de Kerampuilh et se cacher dans son irréalité pour qu’on ne vienne pas la chercher. Elle préfère ne pas se chercher. Elle préfère se cacher et se bercer de petites illusions pour ne pas tomber dans de grandes désillusions. Elle préfère ses rêves et ses chimères à la vérité crue de la réalité. Elle préfère déréaliser sans trop se presser. Elle avait bien vu qu’il la regardait mais bon, bref, elle a filé.