Camille et Augustine empruntent le pont le long duquel court une glycine. Sur les berges les herbes peinent sous l’amoncellement des gouttes de rosée, sur l’eau les lentilles se laissent emporter au gré d’un courant léger. Elles avancent avec lenteur sur le chemin perdu sous les herbes folles. Leurs regards se croisent, s’interpellent en silence. Au bras de la jeune fille Augustine semble redécouvrir le fond du jardin. Un geste doux montre les orchidées sauvages, l’ancien emplacement des clapiers à lapins, caresse le lierre envahit par l’humidité matinale. Le jardin sent la terre mouillée et le marécage. La voix d’Augustine tremble à l’approche de la vieille cabane, un mouvement qu’elle balaie d’un geste rapide de la main. Camille la serre plus fortement. Elle attend que de ses yeux s’estompe le trouble avant de pencher sa tête vers son épaule. Ses mots sont interrogateurs, mais Augustine regarde ailleurs. Elle indique un endroit à l’abri des roseaux, où le ruisseau dessine un coude. Sa voix espiègle volète au-delà du ruisseau. Camille s’approche. Amarrée à un rondin de bois, une barque ondule à la surface de l’eau. Elle aperçoit une maison de l’autre côté de la berge, un portail et une allée pour y accéder. Mais il n’y a qu’une possibilité de traverser, emprunter la petite barque usée et s’aider d’une rame qui semble de plus avoir servie depuis des décennies. Camille se retourne. Rit et s’étonne, balbutie quelques mots avant d’enjamber la coque. Elle attrape le panier que la vieille dame lui tend et l’aide à embarquer, les sourcils froncés. Son corps est en tension, attentive à chaque mouvement, chaque geste, se retient et la retient. Elle peut maintenant parler, ses lèvres grondent, tressautent, dans sa poitrine son cœur bat. Autour d’elles, une atmosphère impalpable, des murmures à l’abri des herbes folles. Camille n’aurait pas été surprise de croiser les fantômes des anciens habitants. Elle le dit sans doute à Augustine alors qu’elle laisse flotter sa main à la surface de l’eau.