— Vous êtes chez moi, vous et tout vot’ bazar là !
— Bonjour. C’est chez vous ici ? quelle chance ! Vous avez une espèce de libellule très rares, la cordulie arctique, c’est elle que j’essaye de photographier, là, dans les hautes herbes. Si vous vous approchez vous la verrez.
— J’en ai rien à faire de votre bestiole, tout ce que je sais c’est qu’ici c’est plein de flotte, ça m’attire des moustiques, les vaches elles peuvent pas venir parce qu’elles s’enfoncent et en plus ces herbes-là, elles aiment pas. C’est du terrain de merde, y’a rien de bon ici, mais vous êtes quand même chez moi.
— Vous avez raison, j’aurais dû vous demander. Je passais sur le petit chemin là-haut en revenant de la tourbière et quand j’ai vu votre zone humide, j’ai fait un petit crochet, juste pour jeter un œil, je ne voulais pas déranger et quand j’ai vu la cordulie, je me suis laissé emporter par mon émerveillement je crois. Désolée, toutes mes excuses, monsieur.
— Hmmmm
–Maintenant que vous êtes là, j’en profite pour vous demander votre autorisation pour faire quelques photos ici. Et si je peux revenir demain matin ? Le matin la lumière est plus belle et les insectes sont plus calmes lorsque les températures sont encore fraiches.
— Et vous voulez revenir en plus ! Pour me coucher l’herbe encore une fois ! Et comment je fauche, moi si vous me couchez l’herbe ? Vous manquez pas de toupet ma p’tite dame !
— Je sais, mais cette libellule est exceptionnelle, elle est quasiment sur la liste des espèces menacées tant il est rare de la voir. Revenir me permettrait de faire progresser les connaissances sur cette espèce, de mieux la connaitre et de mieux la protéger.
— Et mon champ, qui c’est qui me le protège, mon champ ? Encore avant-hier j’ai retrouvé toutes les poubelles d’un pique-nique, les canettes de coca, les bouteilles de bière, là juste à côté de la route, ils ont dû jeter ça depuis la voiture. Et les crottes de chien dans le foin, vous pensez que c’est agréable de mettre les mains dedans, de nourrir ses animaux avec des merdes de clébard ? Les miens de chiens, ils sont bien élevés, ils vont aux vaches, mais c’est tout, ils mettront jamais une patte dans un champs qu’est pas fauché.
— Alors pour les chiens je suis bien d’accord avec vous, ils piétinent tout n’importe comment, ils vous sautent dessus, il parait que c’est pour jouer, mais quand je travaille, ça m’amuse pas du tout d’avoir un chien qui vient me sauter dessus et qui fait fuir les insectes. En plus ils aboient, ça fait peur à tous les animaux que j’essaye d’observer, ils essayent d’attraper les papillons, une catastrophe ! Et les maitres ne voient même pas le problème. Alors j’imagine quand vous leur parlez de coucher l’herbe qui n’est pas fauchée …
— C’est vrai que vous, vous avez fait attention vous avez pas fait trop de dégâts. En plus, ce champ-là je vais pas le faucher pour le foin cette année, les vaches elles aiment pas les herbes qu’il y a dedans. Je vais juste le faucher pour que ça sèche un peu toute cette flotte. Dès qu’il pleut ici c’est une catastrophe, on peut plus marcher.
— C’est bizarre ce que vous dites, du coup si c’est humide, les gens ne marcheront pas dans votre champ. Ça devrait vous arranger. En plus, les zones humides, normalement, elles sont protégées.
— Ah non, me dites pas que je peux même plus faire ce que je veux chez moi ! C’est un comble ça, m’emmerder pour trois grenouilles alors que je paie mes impôts toujours réglo moi !
— D’un autre côté, ce serait mieux pour vous que ce soit classé ici. Vous ne pouvez pas exploiter ce terrain pour vos vaches, et vous perdez du temps à le faucher sans récupérer le foin. Si votre terrain est classé, vous aurez des aides.
— Ah, des aides ? Faut voir combien aussi, parce qu’ici c’est chez moi, je veux pas qu’on me dise ce que je dois faire chez moi, hein. On est ici depuis des générations, sur ce terrain et c’est pas moi qui vais lâcher l’héritage de mes anciens, ça non !
— Si vous voulez, je vous ramène un dossier demain en venant faire mes photos et on regarde ça ensemble ?
— Pourquoi pas. Si le aides sont correctes et qu’il faut rien faire sur le champ, on peut voir.
— Parfait, je passe chez vous demain matin après mes observations alors.
— Et… vous pourrez me montrer une photo de cette fameuse bestiole arctique que je voie à quoi elle ressemble ?
— Bien sûr. Vous verrez, elle est très jolie, elle a les yeux verts.
— Un peu comme vous alors…