Tu sais j’ai peur la nuit. Le jour ça va.
Il va y avoir ce festival. Tu trouves joli ce que je joue avec ma mandoline mais tu ne le diras pas. Et ce truc espagnol, est ce que ça va plaire ? J’ai le trac, le chien, j’ai le trac.
Tu écouteras, tu me diras.
Au festival, il y aura un chien, pas toi, un qui s’appelle Raymond, qui jongle avec des pommes rouges et vertes qui ne retombent jamais. Toi qui as nom Youki, tu ne diras pas que Raymond c’est un drôle de nom pour un chien, fût-il transfuge de classe et de banlieue chic.
Il y a des majorettes. Elles lancent leur bâton en l’air et quelque fois ce sont des pommes qui retombent ; elles les passent à une magicienne qui les coupe en deux et s’en fait des yeux et comme ça elle voit même la nuit. Elle voit si loin qu’elle peut savoir le temps qu’il a fait il y a trois jours partout dans le monde !
Peut-être qu’elle peut voir combien de temps il me reste à vivre…
Je suis très malade, j’ai peur que ça s’arrête, j’ai peur qu’il n’y ait plus rien. Plus rien, tu te rends compte.
Plus rien du tout et pour toujours. Tu te rends compte ? Tu vois ce que ça veut dire ? Moi pas. Je suis toute petite, j’ai dix ans, une vie à peine commencée.
Tu ne diras pas qu’il vaudrait mieux ne pas vieillir parce que c’est douloureux. Si on mourait tous à quinze ans, quel monde !
C’est bientôt, les 9 et 10 septembre 1906, ça se passera au casino dans une très grande pièce, avec un plafond très haut des guirlandes de feu j’ai peur, le chien, j’ai peur. Je jouerai de ma mandoline avec mes amis ; mes notes feront danser
tu ne danseras pas toi, tu regarderas tu écouteras tu me raconteras.
Je joue comme si c’était la dernière fois c’est la dernière fois. Je suis malade j’irai au sanatorium.
Tu aimes bien ma robe blanche à volants. Elle va bien avec mes beaux souliers avec les bandes argentées autour des mollets. Tu as mis ton costume de chien chic, celui quand tu marches sur les pattes de derrière, clochettes autour du cou. A nous deux on les emportera tous dans une sardane d’enfer.
Tu n’as pas dansé figé par trop de trac. Tu n’aboies rien, tu ne grognes rien. Ah j’entends tes clochettes, de plus en plus vite de plus en plus fort. Tu danses, Youki, tu tournes, tu souris, tu me sautes dans les bras
Tu n’as pas obéi à la consigne.
Vivre, le chien, vivre !
Le chien Raymond vient de Saint Leu la Forêt. Merci à sa maîtresse. L’apparition inattendue de la magicienne des pommes m’a fait rêver. Merci Catherine Serre.
Magique ! Belle découverte. Merci.
Magique ! Belle découverte. Merci.
Oui, je me dis que, déjà, faire vivre ou revivre des gens c’est magique alors autant qu’ils en profitent et que leurs vies réinventées soient féériques. Mais toi tu es magicienne aussi : ton message apparait en double ! Merci.
une histoire mystérieuse et très touchante avec une enfant et Youki, Raymond de saint Leu la forêt et des yeux en pommes de magicienne (j’y ai aussitôt pensé à Catherine et aussi à Kachtanka de Tchekhov: cette petite chienne qui se perd et se retrouve dans un cirque avec un chat une truie et une oie) Vivre! (et j’entends Tchekhov cette fois encore) Merci
Merci Nathalie. Je vais essayer de passer un peu de temps avec cette Kachtanka et, peut-être lui faire rencontrer Youki !
quelle magnifique première phrase ! une phrase qui permet au reste de couler jusqu’à nous
beaucoup de fraîcheur dans cette lecture bien qu’il y ait la peur chez toi aussi, la peur qui peu à peu nous gagne
« j’ai peur que ça s’arrête, j’ai peur qu’il n’y ait plus rien. »