La glycine est en fleurs. Ils aiment s’assoir sous la glycine en fleurs. Tous les deux. C’est assez rare pour le signaler. Ils sont assis sous la glycine en fleurs. Au fond, la rue descend, assez raide. Plus loin, l’horizon. A cet instant le soleil est à moitié disparu déjà. Plus près, un lavoir. Cela fait longtemps qu’il n’a de lavoir que le nom. La machine à laver l’a rétrogradé a la fonction de bac à fleur. Pourtant on continue de le nommer lavoir. Il déborde de fleurs. On s’est donné du mal pour composer l’ensemble. Le résultat est plutôt réussit. Lui, a vu sa mère s’user la peau des poignets sur la pierre de ce lavoir. Elle, se souvient de la différence entre le poids des sacs de linge sec et puant a l’aller puis chargé d’eau parfumée d’effluves de savon de Marseille au retour lorsqu’elle aidait, les jours de lessive. Autre point commun. C’est assez rare pour le signaler. Les jeunes ne savent plus ce que c’est un lavoir. Au plus près enfin, eux deux, sous la glycine en fleurs.
– Tu as vu Raymond aujourd’hui ?
La rue est vide. Au loin un chat roux traverse. Le silence est complet.
– Non… Du moins je ne me souviens pas l’avoir vu…
Elle suit le chat des yeux. Il remonte lentement la rue, rasant les maisons colorées, puis disparaît derrière le lavoir.
– Quelle histoire… Mon dieu…Elle se tourne vers lui…Personne ne mérite un tel malheur…
Il regarde l’horizon. La ride qui lui barre le front est plus profonde. Elle le trouve vieux. Fragile.
– Tu crois qu’elle l’a su?
Il ne peut contenir un geste d’agacement. ( Elle ne changera donc jamais? A quoi bon ces questions dont personne ne connaît la réponse?) Depuis leur mariage, ( sur les photos en noir et blanc, la glycine était alors en fleurs),elle ne peut s’empêcher de poser des questions dont personne ne connaît la réponse.
– Peut- être…sûrement… comment veut tu que je le sache?
Au loin, un point minuscule attire son attention. Une jeune femme monte la côte à pas lent. Elle semble souffrir de la chaleur, même à cette heure tardive. A mi chemin, un chien la rejoint. Il la connait. Remue la queue. Se laisse caresser la tête longuement.
Il l’observe se redresser et reprendre son ascension, la ride de son front se fait moins profonde.
– Ne lui dit pas… je t’en prie…
Il la regarde. Il fait presque tout à fait nuit. Elle ne voit que le brillant de ses yeux dans son visage. Un peu plus brillants qu’à l’habitude. Elle hésite, tortille son tablier entre son index et son majeur droit. Elle désirerait tant lui dire. Elle sait qu’elle ne pourra pas se taire:
– Comme tu voudras…
Ils se tournent dans le même geste vers la jeune femme qui ne se tient plus qu’à quelques mètres. Elle regarde dans leur direction. Mais l’obscurité ne permet pas de savoir ce qu’elle observe exactement. Sa robe longue et ample dessine une ombre autour d’elle. A sa droite, le chien halète.
Lorsqu’elle arrive à la hauteur de la glycine, il se lève avec empressement :
– Rentre vite, tu dois avoir faim…
Elle se penche légèrement pour passer sous les grappes lourdes et parfumées de la glycine en fleurs et les suit à l’intérieur.
En haut de la rue en pente raide, le chien tourne deux ou trois fois sur lui même, puis s’allonge et s’endort. Au fond, tout est noir.
Un fragment. Tout y est. Tout est là pour imaginer au galop le reste du tableau. Merci.
Merci Jean Luc ☺️
Présence des personnages et du lieu en peu de mots, on voit tout, mais on ignore beaucoup, ce qu’elle ne doit pas lui dire… Et qu’on voudrait connaître, ça et le reste. Merci, Géraldine.
Merci aussi Anne pour cette lecture là! Décidément ces 5 exercices sur le dialogues ouvrent vers des possibilités infinies: il y’a la majuscule qui débute et le point qui termine ce que l’on dit. Ce n’est que le noyau. Tout autour: le non dit, le sous entendu, le non verbal… c’est déstabilisant!