– Assieds-toi, je t’en prie…
– Merci…
– Un petit café ?
– Ce n’est pas de refus…
L’air lourd du mois de juillet écrasait la cour, les bêtes et les hommes. Les moissons n’allaient pas tarder à battre leur plein. Même les morts avaient chaud dans le cimetière de la plaine.
– Ca va les bêtes ? Avec cette chaleur…
– On fait aller…on attend des orages. Ca peut pas rester comme ça…
Elle m’avait invitée à passer. Quand je pouvais. L’idée de partager un moment avec elle entre les murs frais de la vieille cuisine. A l’abri de la torpeur du jour. La grande table en bois. Les mouvements lents de la vieille femme. Les tasses de café en porcelaine sur la nappe blanche. La grande horloge dans ce vaste été sans fin. Un havre. Je suis donc passée avant ma tournée du soir. Avant de soulager un peu les corps fatigués. Je regardais ses gestes lents et je reprenais des forces.
– Les enfants vont bien ?
– Je les ai eus hier. Oui, tout va bien. Ils vont à la plage tous les jours…Tu parles !
– Ce sont de bons petits…
– Oui, je n’ai pas à me plaindre.
Une mouche bourdonna à mon oreille. Se posa sur la nappe blanche. Petite tache noire que je me suis bien gardée de chasser. Les bêtes, ici, c’était sacré. Elle s’assit en face de moi, le corps pesant. Le regard aussi. Je n’avais pas remarqué jusqu’ici. Son regard. Un regard fatigué. Ca ne lui ressemblait pas.
– Les cousins arrivent bientôt !
– Oui. Première quinzaine du mois d’août. J’ai encore un peu de temps pour préparer la maison. Sidonie va m’aider.
– Si tu as besoin d’un coup de main, nous sommes là aussi. Serge peut aller les chercher à la gare d’ailleurs.
– Nous avons le temps. Nous verrons.
Le ton était las. A la mesure de l’été. Et puis elle sortit de sa blouse une photographie en noir et blanc. Je la reconnus immédiatement. Mon grand-père. Son père.
– J’ai reçu un appel cette semaine…
L’horloge sonna trois heures. Suspendant la phrase. Un vrombissement de tracteur à l’extérieur. Des cris au loin. Des meuglements plutôt. Ce n’était pas l’heure de la traite pourtant. Un silence s’installait que j’avais du mal à briser. Je regardai la photo sur la nappe blanche. La mouche s’était posée sur le nez de mon grand-père. Ma tante l’en chassa. Geste inhabituel. Ses yeux s’étaient embués de larmes.
– Je te ressers…
– Non ça ira. J’en suis à mon quatrième de la journée. Si ça continue je ne dormirai pas de la nuit… Ca ne va pas ?
En guise de réponse, elle me tendit une feuille arrachée d’un carnet à spirales. Je reconnus son écriture. Un nom était griffonné, difficilement lisible suivi d’un numéro de téléphone. L’écriture était heurtée. Tremblante. Et puis cette phrase : « ce n’était pas un accident ».
Cette lecture à voix haute, en parallèle de ma lecture change l’impact du texte, c’est comme une variation, les accents, l’importance des phrases est différentes, comme un écho à ma lecture intérieure. C’est un autre texte. Bravo.
Merci pour ce retour Laurent. Je ne me rends pas compte – enfermée que je suis dans ma propre voix intérieure – à quel point la version audio peut différer de l’autre voix intérieure du lecteur extérieur. J’ai envie de mettre en voix toutes les propositions de ce cycle.
(elle vous avez invitée avant ?) (ou c’est par hasard ?) quel début …!(bravo)
oh des parenthèses à la façon de Wittig ! C’est drôle, je ne le concevais pas comme un début, ce texte. Alors chiche ! Quant à la question, il faut que je demande à mes personnages. Ils ne m’ont pas (encore) tout dit. Merci Piero en tout cas pour ce commentaire endialogué.