Ça a commencé ce matin. J’étais pas levé qu’il tambourinait déjà dans ma caboche. Il s’était invité dans la nuit. Vous avez pas idée du boucan qu’il faisait! À m’en retourner les méninges! J’vous jure, j’exagère pas! ( Vous savez, c’est pas trop mon genre…). Il m’a tant soufflé dans les esgourdes que mon cerveau y ressemblait à de la purée à la fin! Plus une seule idée qui y tienne debout.
Il s’est présenté comme monsieur A. Postériori: (Drôle de nom!) que je lui dit. D’emblée il m’inspirais pas confiance. (« A » pour Arthur ? Ou bien Anatole ? Non plutôt Amédée…?), je l’interroge. (J’suis du genre à bien aimer savoir à qui j’m’adresse). (A. Comme A. tout court. Je me nomme monsieur A. Postériori) qu’il me répond. J’ose pas insister : (J’voulais pas passer pour un type qui a jamais appris la politesse : pas mon genre…). Alors il me dit, l’air très sérieux: ( Je viens du futur pour t’aider…). J’avoue, sur le coup, j’ai dû me remémorer à quel point mes vieux se sont donnés du mal pour que j’sois un adulte bien éduqué. Sans ça j’aurais pas pu me retenir de rire ! J’lui réponds : ( À d’autres! J’suis pas un type qu’on roule aussi facilement moi !) puis, en prenant mon temps, en articulant bien ( Vous savez, comme quand on explique les choses de la vie aux gosses et qu’on veut qu’ils impriment bien tout ce qu’on leur raconte en dedans de leurs oreilles et que ça reste tatoué là alors que souvent ça file par l’autre oreille aussi vite que c’est rentré par la première …) Donc j’ai raclé bien fort ma gorge pour qu’il ne reste que du miel dans la voix et j’me suis coulé en quatre pour lui expliquer :(On aurait inventé la machine à remonter le temps que ça se saurait! ils l’auraient dit au journal de vingt heures : tout le monde serait au courant…pas seulement toi… et tout et tout) et j’lui présentait comme ça tout un tas de bons arguments pour l’amener sans un choc trop fort (Faut se méfier de la façon qu’on lance les mots dans une conversation. Souvent on s’est pas fait une idée très juste de la véritable force du type avec qui on cause. Et les mots ça peut faire plus mal qu’une bonne grosse paire de claques…). Je disais donc pour l’amener, tout enroulé dans du coton, à ce qu’il comprenne que son histoire d’homme du futur c’est uniquement dans sa tête qu’elle tenait debout. Je lui montrais des exemples, je vidais tout mon sac. Celui où je range ma patience et ma gentilesse et mon amour de mon prochain, et tout et tout. Je l’essorais même ce sac jusqu’à qu’il ne contienne plus une goutte …. Et bien, croyez-le ou non mais il n’a jamais voulu en démordre ! Il me dit: (Je ne peux pas te l’expliquer, mais tu dois me croire…) Là j’ai senti qu’il m’avait battu: un à zéro pour sa poire. J’me suis trouvé bloqué. Dans un cul de sac. Face à autant de mystère et de mauvaise foi, j’me suis dis qu’il y’avait rien en tirer. Comme j’suis pas un type qui aime perdre son temps (pas mon genre…) et que j’venais juste d’en perdre un peu trop à mon goût (j’m’étais tellement appliqué qu’ il me restais plus une seule goutte de salive pour mouiller ma langue, toute sèche et râpeuse dans ma bouche). J’décidais de faire comme s’il était pas là. (Enfin, vous comprenez : il était vraiment pas là puisque j’viens d’vous expliquer qu’il s’tenait depuis le début bien au chaud dans ma caboche.) Bref: de l’ignorer. Donc comme j’vous ai indiqué plus tôt, je suis encore dans mon plumard. Je m’fais violence pour me lever (C’est plus fort que moi mais quand il fait beau j’suis pas le genre de type qui apprécie trop d’aller s’enfermer à l’usine…) Et voilà que ce monsieur A. Postériori il se met à s’mêler de ce qui l’regarde pas (Allez un peu de courage!) qu’il me dit. Je chasse la fumée qui commence tout juste à me sortir par les narines. J’prends sur moi pour continuer à l’ignorer. J’me dis que, peut-être, il s’découragera , il s’dira que ça sert à rien tout son baratin. J’finis même par lui lâcher: (Tu f’rais mieux de pas te fatiguer pour moi et de t’occuper de ceux qui en valent la peine…) C’coup ci, y trouve rien à répondre.(Et bim!) j’me félicite: (Bien envoyé!) et puis tout de suite ça m’colle une drôle de tristesse au creux de l’estomac. Une tristesse du genre de celle qui s’en va pas, qui vous chatouille la bidoche et alors vous perdez l’appétit et même que si elle dure un peu trop longtemps elle vous tue… (Le vieux d’à côté il en est mort! Depuis, j’rigole pas avec ça moi!) Alors, j’me laisse pas abattre, j’reprends du répondant, je le teste: (Tu vas pas m’gâcher ma journée!) j’lui annonce, l’air décontracté. Lui reprend son air grave: (Tu le regretteras, ce soir quand tu comprendras…). Il commençait à m’chauffer les amygdales du genre cramoisies, ce monsieur A. Postériori avec sa brouette de phrases tellement utilisées qu’elles étaient déjà toutes flétries entre ses dents, et sa façon de parler au futur avec toute une tartine de mystères: (Tu passes à côté de ta vie… Tu peux encore faire le choix de changer… Tout n’est pas perdu…) et bla et bla et bla. Il a tout passé à la loupe! Tout j’vous dis! A l’écouter parler, j’étais un bon à rien! Alors je l’ai mis à la porte! Lui, et sa ribambelle de belles pensées! Il m’a jeté un regard bizarre en partant et m’a dit: (Je tiens à toi…). Du tac o tac j’lui ai retourné: (Si tu tenais tant à moi, tu m’aurais pas farci le crâne au point que j’ai l’impression qu’il va exploser).
Sur ce, il a disparu. J’ai regretté après coup de m’être montré méchant (C’est pas mon genre…). C’est vrai: il avait fini par m’laisser tranquille, c’était peut-être pas un mauvais bougre au fond… Puis j’ai décidé de ne plus y penser! J’avais trop à faire: Lucien, Robert et Patrick ça devait faire bien déjà une heure qu’ils m’attendaient au bar du coin. Ils devaient se faire du sang noir. Peut être même qu’ils commençaient à s’dire qu’ils allaient venir voir dans ma piaule si j’avais pas passé l’arme à gauche dans la nuit (Ce genre de chose ça préviens pas, j’vous dit !…rapport au vieux d’à côté…). Alors comme j’aime pas les savoir inquiets, je les ai rejoins. Mon patron, il m’attendrai bien ( ou pas, ça m’étais bien égal ) un jour de plus. On a bu tout le jour. On aurait pu boire la mer et tous ses poissons tellement on avait soif. Le monsieur A. Postériori il a pas remontré le bout d’son nez.
J’vous passe les détails de ma journée: elle était pas si différente des autres.
Le soir, je rentre chez moi. Mes deux quilles elles me portaient presque plus tellement j’étais rond. La concierge me tend une lettre quand j’passe devant sa cahute (j’ai failli pas arriver à l’attraper, tellement j’voyais tout en double). Une fois dans ma piaule et après quelques difficultés pour l’ouvrir( La lettre pas la piaule ( Vous pensez bien! la piaule! j’étais surentraîné! Question de survie: j’suis pas trop le genre de type à apprécier de dormir à la belle étoile) (on a pas idée mais ouvrir une lettre en sachant plus où se trouve l’horizontale et la verticale… Bref: je vous passe les détails) je la lis (toujours en double). C’étais mon patron qui m’disait (en double) que c’était pas la peine de venir demain, qu’il avait trouvé quelqu’un de plus assidu que moi. J’connaissais pas ce mot « assidu » et puis le dictionnaire ça fait bien longtemps qu’il prenait la poussière pour caler la table au salon. Enfin je suis quand même arrivé à comprendre avec les mots que j’connaissais et puis aussi parce que à la façon dont mon patron avait mis tous ces mots les uns à la suite des autres, on sentait bien qu’il cherchait pas à ce que l’ensemble me fasse un effet trop amical. (J’suis un type plutôt doué pour ressentir ces choses là…). Pour la faire courte, ma tronche n’était pas la bienvenue à l’usine demain.
Alors j’ai regretté de pas l’avoir écouté monsieur A. Postériori. Je l’ai appelé, mais il est pas venu. J’ai pas honte de vous dire que j’ai même un peu chialé, la tête dans l’oreiller, comme un gosse.
Et puis j’ai compris: (Dès fois, allez savoir pourquoi, j’ai des éclairs qui s’allument dans ma tête, sur le coup, ça fait presque de moi un génie). Tenez vous bien : Ce monsieur A. Postériori: c’était bien moi! J’veux dire: moi qui venais juste de lire cette fichue lettre et qui voulais simplement prévenir mon autre moi, celui du passé de ce qui allait se passer pour lui ( donc pour moi) dans le futur ! (Vous m’suivez? Parce qu’il faut pas être la moitié d’un con pour comprendre tout ça) Et dire que j’ai pas voulu m’écouter! (Quel crétin!). A en devenir fou j’vous dit! Au point de finir à l’asile!
Depuis ce jour, j’me parle à moi-même (J’suis plutôt du genre à pas négliger les coups de pied au cul que la vie vous décoche. En général, si la vie se montre aussi chienne, faut toujours s’dire qu’elle fait pas ça par plaisir mais pour vous sortir du pétrin). Comment j’m’y prends ? C’est simple : j’me met devant l’miroir de la salle de bain, j’prends l’air précieux qu’il mettait sur sa figure, l’bon monsieur A. Posteriori ( du moins ce que je m’en souviens… ) et j’me dis à moi-même: (A priori il faut toujours écouter les sages conseils de monsieur A. Postériori!) vous verriez ça: ( Un autre homme j’vous dis!) Méconnaissable…