Je ne les supporte pas, je ne les supporte pas ces collectifs où sous couvert de bienveillance, cela se soumet, cela ne dit pas, cela se tait, mais cela pense tout bas, cela manque de respect, cela ne vaut pas mieux qu’un autre, cela est groupe, foule, des gens ensemble – ensemble ? Faites moi rire, quand est on réellement ensemble ? Qui est ensemble ? Se reconnait-on dans l’autre ou fait-on semblant ? Je ne les supporte pas ces groupes qui se retrouvent, prennent des rendez-vous, des décisions, pensent savoir mieux que les autres, pour le bien-fondé, le mieux vivre, le durable et tout le tsoin-tsoin-tagada. On ne me l’a fait pas à moi cette esprit d’équipe, cette solidarité, cette « on ne forme qu’un » ! On ne me l’a fait pas à moi, cette entraide, cette « on est tous pareils », cette « on s’aime » ! Regarde les – Ça se sourit, ça partage un repas, ça se dit oui, ça se croit ami. Soudain, mon ange m’arrête : (Qu’est ce qui t’arrives aujourd’hui ? Pourquoi es tu d’une humeur massacrante ? Pourquoi dis tu autant de bêtises ?) – Excédée, je lui réponds du tac au tac (Je ne dis pas de bêtises, je veux pouvoir dire, dire sans me cacher, dire sans me mentir, dire que les autres…) (Les autres ?) Elle m’interrompt, (quels autres ? où vois-tu d’autres que toi-même ? Pourquoi t’énervent-ils ? Que reconnais tu en eux qui est déjà en toi ? Pourquoi rugis-tu ainsi si tu ne te reconnait pas ?). Je la laisse parler mais j’aimerais l’étrangler. J’aimerais que pour une fois, elle se taise, et me laisse exploser, dégueuler sur le monde entier. (Le monde entier, ne crois tu pas que tu exagères un peu ?) – (Mais jamais tu ne te tais ?) (Non, je suis ton ange et je veille sur toi, ne l’oublie pas) – (Parfois je ne veux plus t’entendre) (Je sais mais ça va aller). Et rageusement, je continue de noter dans mon cahier les phrases à retenir, les méthodes à appliquer, les objectifs à suivre, les deadlines à respecter.
Et voilà, cela n’avance pas – A peine six heure du matin et je suis déjà coincée dans ce putain d’embouteillage avec ces putains de cons à la gueule défaite et l’haleine qui doit puer. (Bonjour, comment vas tu ce matin ?) (Ah, tu es là toi, je vais bien comme tu l’entends.) (Pourquoi tu ne roules pas ?) (Pourquoi je ne roule pas, pourquoi je ne roule pas ? Mais parce que vois tu il y a les autres, les autres, à droite, à gauche, devant et derrière et que personne n’avance) Un long silence suit cet échange puis mon ange parle (Je vois, vous êtes coincés) – J’exprime un long soupir, une respiration. Parfois, j’ai envie qu’elle n’existe plus, j’ai envie qu’elle m’abandonne…(Non, tu ne veux pas que je t’abandonnes parce que si je t’abandonnais, tu serais seule) (Mais non ) (Mais si, tu serais seule et tu le sais) (J’ai pleins d’amis.es) (Et alors ? N’est t’on pas seule, même entourée ?) Mais avance putain, tu vois bien que ça a bougé non ! Tiens, je t’envoie un klaxon dans les oreilles, et un long, un qui te gicle dans les tympans, un qui te réveilles de ton sommeil, un qui va te foutre dans le mur. (Qu’est ce qu’il y a tu as mal dormi ?) J’en ai rien à foutre, je ne lui répond plus. (Je crois que tu n’es pas heureuse tu sais, si tu l’étais, tu ne serais pas en train d’hurler contre la vitre de ta voiture des paroles injurieuses à celles et ceux qui ne t’ont rien fait et qui comme toi vont juste travailler) (Mais si je suis heureuse, je suis fatiguée, c’est tout, fatiguée, et j’en ai assez assez de perdre du temps, mon temps, à peine éveillée).(Change de vie) murmure t’elle à mon oreille. (Change de vie) glisse t’elle dans mon cerveau. (Change de vie) je ne veux plus l’entendre. J’allume la radio, fort.
Un autre verre s’il vous plait. (Tu devrais arrêter !) (S’il te plait ce soir laisse moi m’amuser. Je ne veux pas que tu sois une ange moralisatrice, je veux que tu sois mon amie, s’il te plait). Le barman me tend le wisky entre les têtes agglutinées au bar de la rue Mouffetard. C’est ce petit bar du coin de la rue, celui où j’aime parfois aller boire, seule ou accompagnée. Boire parce que j’aime cela, ressentir la chaleur des autres, le désir monter, les effluves de l’alcool venir et ma tête se mettre à tourner. (S’il te plait, mon ange, laisse moi m’enivrer). (Mais tu n’aimes pas cela, je sais que tu n’aime pas cela et tu vas avoir chaud, et tu vas prendre peur, et tu voudras t’en aller et tu ne pourras plus t’enfuir et tu seras fatiguée et tu vas te mettre à pleurer). D’une oreille distraite, je l’écoute, en buvant mon verre, lentement. Et lentement, la foule m’agrippe, se referme et se frotte à mes côtés. Et lentement, je me laisse porter, je me laisse toucher, je me laisse glisser. Et lentement, ma tête se met à tourner et mes yeux se ferment quand soudainement, je me sens rattrapée. Mais c’est qu’il est pas mal, je me mets à penser la main dans la sienne, mes yeux exorbités, mon sourire dans le sien. (Attention, la tentation est grande mais n’oublie pas ce qui est arrivé la dernière fois) – (Que racontes tu ? Je ne me rappelle plus) (Rappelle toi, tu ne peux pas avoir oublié). Et déjà, il m’attire vers lui et déjà il m’extirpe de la foule, et déjà, il m’emmène dans un coin, et déjà (Mais pourquoi tu ne m’écoutes pas ? Je vais te laisser, je m’en vais). (Non s’il te plait, reste, reste à mes côtés) (Mais je ne veux plus être là, je ne veux plus te ramasser, je ne veux plus te porter, je m’en vais) (Non reste ça va bien se passer). Et tout autour, les gens se sont mis à danser, et tout autour, les gens se sont dévêtus, et tout autour, la musique nous balance et tout autour, l’alcool nous emporte et (Tu es là ?) (Tu es partie ?).
(Oui je suis là, viens, prends ma main) (Je l’ai, tiens moi bien) (Je ne te lâche pas, viens) Mais je ne peux plus bouger – Et je ne sens plus mon coeur – Et je ne ressens plus rien. Et elle m’arrache à la mare de sang dans laquelle je trempe entièrement, et elle m’arrache à ce bar meurtrier et je sens la foule que je quitte, et je goûte l’air frais sur le visage, et je bois la pluie qui tombe (Tu ne me lâches pas, hein ?) (Non, je reste avec toi, suis moi) (Où m’emmènes-tu ?) (Dans un endroit doux, fais moi confiance) et ma main dans la sienne, je me laisse guider et je traverse les rues désertes, et je traverse les boulevards, et je traverse les ponts, et je traverse le ciel. Et de loin, de très loin, entourés de nuages, je les vois, assis et nombreux (Oh non pas des gens, s’il te plait pas encore du monde) (Viens ne t’inquiète pas, ça va aller). Et de loin, de très loin, je les vois, et elle me tire vers eux. Ce sont des femmes, ce sont des hommes, ce sont des enfants, ce sont des vieillards, ce sont des toutes sortes, ce sont des gens qui ne se regardent pas, ce sont des gens qui ne se parlent pas (Mais qu’est ce qui se passe ? Que font-ils ?) (Ils ne font rien, ils ferment les yeux) (Oui mais là tous ensemble, sans un bruit, pourquoi ?) (Pour rien, ils sont bien, ils écoutent) (Ils écoutent quoi ?) (Le silence, le rien) (Je ne comprend pas) (tu n’as pas besoin, assieds toi) Je n’ose pas. J’ai un peu froid. Je suis entourée d’air, mon crâne est à l’envers et je n’ai qu’une envie, c’est d’aller me coucher. (Assieds toi et ferme les yeux) (Mais je vais tomber) (Je suis là, je te tiens, viens). Et doucement, elle pose ses mains sur mes épaules, me fait courber les jambes, tenir droit mon dos et délicatement, elle se pose contre moi et me soutient. Et je ferme les yeux. Et je sens des gouttes d’eau me rafraichir, et je sens une douceur m’envahir. (C’est bien non ?) (Oui c’est bien)(Mais on est où ?) (Au paradis) (Arrête tes conneries, il n’existe pas) (Ah oui ?) (Non mais sérieusement) (C’est toi qui le dis ) Je ne sais plus quoi dire, je ne sais plus où j’en suis. (Et qu’est ce que l’on se dit maintenant?) (On ne se dit plus rien).
Quel voyage! Merci Clarence
Merci Nathalie –
C’est une nouvelle, une excellente nouvelle, c’est une bonne nouvelle de lire ici des bonnes nouvelles. Merci.
Merci Laurent pour ton retour, à bientôt.
C’est un grand voyage, une drôle d’aventure … la vie ! Alcool fort.
De l’aube et sa colère à verse à la pré-nuit, sa toute petite pluie fine, le goutte à goutte des voix… quelle embarquée folle
Ange et démon ainsi font font font : nous.
j’ai toujours pensé que les anges gardiens avaient bien de la chance de ne pas avoir tous le cou tordu