Il était là, assis sur une chaise, au dos et à l’assise sommairement rembourrés. Il croise les jambes, puis les recroise dans l’autre sens. Son smartphone repose sur sa cuisse, il ne cesse d’y jeter un oeil. Davantage un geste compulsif qu’une réelle volonté de consulter l’heure qu’il est. A chaque geste, le perfecto en cuir épais qu’il porte sur les épaules se met à craquer. Difficile à dire si ces gestes parasites témoignent de l’inconfort du siège ou sont simplement les conséquences d’un stress mêlé à une impatience certaine.
Dehors, il pleut. Comme souvent en Belgique, me direz-vous. Les gouttes d’eau viennent gifler les cinq portes vitrée qui constituent l’entrée du théâtre. Dehors, les vrombissement rivalisent avec les bruits stridents des freins et des coups de klaxons. Dedans, le silence est de plomb. D’autres personnes attendent également dans le sas qui sert d’entrée. Il y a ces deux jeunes filles, toutes de noir vêtues, talkie walkie accroché à la ceinture, qui échangent à voix basse et qui se mettent tour à tour la main sur l’épaule, comme pour appuyer la discrétion de leur conversation. Une autre dame fait les cent pas, papiers à la main, lançant un regard appréhensif à travers les portes vitrées. Et lui, il attend toujours, assis sur la chaise. Il a sorti un livre de son sac à dos et le feuillette distraitement, avant de le reposer sur ses genoux. Lui aussi tient un oeil attentif vers l’extérieur, scrutant le va-et-vient de véhicules et de personnes pressées en ce lundi après-midi. Tout le monde évite de se regarder.
Et puis, elle arrive. Quelqu’un à sa gauche lui tient un parapluie pendant que l’autre personne, à sa droite, lui indique la route. Elle pousse une des portes, le silence se fait encore plus pesant. Un moment suspendu de quelques secondes, où les regards se croisent mais sans qu’une parole ne s’échappe. L’homme secoue son parapluie, faisant tomber sur la moquette quelques grosse gouttes, immédiatement absorbées par la moquette d’un couleur bleu nuit. Elle le regarde faire et ses yeux sourient à la place de sa bouche, dissimulée derrière un masque. Tout le monde garde une distance minimale, et l’observe, légèrement gêné. Elle est enfin arrivée. Avec sa coupe afro plus sel que poivre, et son long manteau noir, elle dégage malgré elle une aura immédiatement perceptible. Ses années de lutte et de résistance l’accompagnent désormais, sans qu’elle ait à faire le moindre geste. Une parure invisible, forçant le respect et la retenue.
Il se décide enfin à se lever, en ayant au préalable rangé son smartphone dans sa poche. Il tient son livre de la main gauche, la lanière de son lourd sac à dos reposant sur son épaule droite. Lentement, à pas hésitants, il s’avance vers elle. Elle finit par le voir et lance aussitôt un regard vers l’homme au parapluie. Il lui décoche un signe rassurant, lui indiquant qu’ils se connaissent et qu’il n’y a donc pas de crainte à avoir. Ce genre de geste parfaitement connue de l’un et de l’autre. Leur regard se croise à nouveau, le terrain est à présent propice pour qu’un échange puisse avoir lieu. Il est le premier à prendre la parole, elle semble le remercier et accepte de prendre en mains le livre qu’il lui tend. Elle retourne l’ouvrage et observe la première de couverture. Elle sourit à nouveau. Sans le voir, mais on le devine. Ce type de sourire entendu et imprégné de souvenirs, de mémoires et refrains connus. Elle ouvre le livre à la première page et y laisse une signature en diagonale, empruntant définitivement les trois quarts de la page. Aucune hésitation, sa main parcourt la page d’un geste fort et décidé. Elle referme ensuite l’ouvrage, le tend avec une certaine délicatesse à l’homme en cuir et se rend ensuite vers l’ascenseur, d’un pas franc et guidée par ses deux acolytes.
La conférence de presse va bientôt commencer et il est hors de question qu’elle soit en retard.
C’est très fort, percutant, belles images, merci beaucoup. Et j’aime beaucoup le titre, c’est exactement cela.
Bonjour Clarence, un grand merci pour ton retour, ça fait chaud au coeur 🙂