Des bottines, des grosses bottines c’est pour marcher dans la boue – les boues – pour enfoncer ses pieds, le plus profondément ses pieds dans la terre toute pleine d’eau, ça qu’on appelle boue, pour laisser les pieds, le corps par les pieds, se faire aspirer par la terre ramollie, pour glisser à l’intérieur, et puis tirer tirer pour désaspirer son pied du fond de la glaise dans un bruit de succion et par là-même en profiter pour éclabousser au moins les jambes jusqu’aux genoux traces de la bataille. Les bottines, les grosses bottines de cuir c’est comme une maison chaude et sèche dans laquelle on laisse le pied bien protégé toujours le pied au sec l’aventure au sec et au chaud. C’est si bon d’y être qu’on les garderait la vie entière les bottines et même à l’intérieur et la cuisine le salon et dans le lit pourquoi pas ramener avec soi la boue de la forêt transformer peu à peu la maison en terrier terre battue. Mais les pieds, les pieds sont lourds et comme coupés de la terre et pour courir la forêt les sangliers ou les chevreuils juste de simples onglets comme perchés sur les ongles d’orteils, quelle élégante légèreté alors on choisit des baskets en toiles aux semelles à crampons et là c’est mobile et souple, cheville libre on peut obliquer sans crier gare, s’abaisser, sauter, faire demi-tour au moindre son qui appelle, le sol dit au pied où aller, tous les accidents de terrain sont comme autant d’histoires qui nous occupent, là un rocher affleurant une racine au bord presque tranchant qu’on voudrait suivre avec l’extrémité de l’orteil, et comment le pied est plein de savoir oui l’intelligence du corps est retournée dans le pieds, c’est le pied qui dit et qui sait, la tête n’a plus à se demander où aller on se découvre animal traversant rus et rivières, puis on voit avec une sorte de joie profonde ses pieds s’enfoncer jusqu’au chevilles dans les terres doucement marécageuses et c’est comme un tapis qui ondule, comme de marcher en lévitant et alors qu’on a cru que le pied humide jamais on ne supporterait le froid par le bas, si, très vite on y prend goût à la rudesse de la nature qui entre dans la chaussette et cette connection là et aussi ça devient tiède au fond de la chaussure. Après la vie change, quand on a découvert ça que le pied peut vivre ailleurs qu’au sec et au chaud c’est comme un point de non retour, le pied fait sa vie, il clame ses besoins, il les crie, les hurle, les impose, plus possible de faire marche arrière. Après la chaussure, la garder aux pieds plus possible. Les pieds ne supportent plus l’enfermement chaussette, chaussure. La bouche du pied qui étouffe et hurle à l’air et à l’aide, on les laisse respirer tout leur saoul. Et on découvre, on découvre étonné qu’un plancher ça vibre sous les orteils, et aussi descendre les escaliers en laissant les orteils s’aggripper au rebord des marches comme c’est abyssal de sentir remonter jusqu’au ventre le singe en nous toujours vivant. Et là, à partir de là c’est comme un appel, une évidence, tout le temps ôter les chaussures, en classe à l’école, chez les amis au théâtre opéra cinéma, dans les cafés même, et au boulot, oui parce que c’est comme ça les pieds ont une vie propre et quel soulagement de sentir le cerveau tombé dans les pieds et que c’est les pieds qui dirigent nos vies. Les pieds alors nous font danser dans nos jours et nos nuits, ils nous amènent là où on ne pensait même jamais aller et nous disent stop aussi, s’arrêter pour sentir humer se reposer. Et c’est les pieds qui nous font glisser doucement au creux de la matière du monde. Notre seule patrie c’est celle-là, les pieds dans la matière, les pieds ancrés dans les sols, tous les sols, au creux du monde, au creux de nous-même. Enracinés et dansant dans la matière du monde.
Une histoire des pieds, des pieds bottés, crottés aux pieds libres, nus, le sol commence par le pied, le pied qui fait glisser doucement dans la matière du monde, c’est chouette.
Merci. Et merci pour vos retours. Ca me donne la sensation d’être « plus là ». Pas facile d’arriver tard, d’être à la traine, on se sent hors du coup alors qu’il est si dynamisant d’avancer avec la troupe.
Excellent premier texte, je trouve !
Merci et bienvenue dans ce super atelier !
J’aime beaucoup votre texte. A la lecture, l’odeur de l’humus m’est venue, ou son image olfactive, je ne sais pas comment dire cela, mais c’est très fort en tout cas. Vos mots convoquent des sensations. Merci Sybille Cornet !
Merci pour votre retour, c’est très encourageant. J’ai posté le deuxième texte et vais tenter le 2 bis cette semaine. On verra jusqu’où j’irai dans l’atelier.
Très chouette texte. J’aime beaucoup l’idée des bottines comme maison. Et le cerveau tombé dans les pieds. Bravo.