D’abord le jardin. Le jardin tellement connu mais surtout exploré à partir de la grande allée. Pour aller au-delà, obligation d’avoir l’excuse d’aller arracher de l’herbe ou d’aller ramasser des fraises. La grande allée déjà bien suffisante puisqu’elle avait la taille des baleines. Se prêtant donc, d’habitude, à tant de jeux de va-et-vient à l’allure lente des boules de pétanque ou à l’allure rapide des rebonds des balles légères. Et puis aussi, bien sûr, l’interminable quête du matin des œufs de Pâques, à fouiller interminablement les buissons de pivoines et les touffes de jonquilles, de tulipes et de jacinthes…
Le jour du ballon lourd, sortie dans l’impasse. Obligation d’être avec un adulte et pour l’occasion du ballon lourd, toujours Papa. L’impasse au temps où elle n’était pas encore goudronnée, avec ses flaques, avec la trace de l’ancien grand fossé autour duquel il y avait eu des guerres de tranchées, à faire à coups de pioche silencieux, la nuit, pour ramener la mare devant chez les voisins. L’impasse aux histoires, l’impasse aux autos aussi et, pour cela, obligation de donner la main.
Au fond de l’impasse, le talus de la voie ferrée, sans grillage à cette époque. Mais avec tant de roseaux ! Offrant des prises d’accord mais ne pas se tailler aux arêtes de naissance des feuilles… Donner la main plutôt à Papa, essayer quand même de caler par soi-même les pieds dans les cavités des grands pieds précédents. Le talus devenant ainsi de moins en moins impressionnant, laissant paraître d’abord le ciel, ensuite le rail.
Le franchissement des rails, impossible de le faire trop vite. D’abord la prudence, toujours bien regarder à gauche et à droite s’il n’arrivait pas un train. La prudence aussi à cause des gros cailloux du ballast et des trop petits pieds en ce temps. Mais la lenteur d’une sorte de rituel aussi, même en ce temps d’avant la catastrophe du maître déséquilibré par son chien et passé sous le train. C’était là qu’on venait contempler les feux d’artifice du quatorze juillet, depuis les chaises de toute l’impasse posées à cheval sur le rail et tournées vers le centre-ville. La revanche du faubourg.
Dévaler l’autre talus, celui de l’herbe annonciatrice. Avant les grandes constructions, que de l’herbe au pied de la statue de la vierge, un grand pré et un petit chemin au milieux. Tout pour jouer au ballon lourd. Après un salut à la Vierge, quand même, ressemblant tellement à celle qui avait sauvé Papa, un jour, au milieu d’un champ de choux gelés, après des tonneaux en Dauphine.