La maison de vacances des grands-parents dans les Cévennes où ils passaient quatre mois de l’année. Chacun allait y séjourner quelques jours à l’occasion au cours de l’été. Petit hameau au nom d’arbre fruitier. Tu te souviens d’un sentier qui permettait de rejoindre le centre du village, sa placette endormie à l’heure de la sieste (c’était toujours l’heure de la sieste dans ta mémoire…), tu n’y croisais jamais personne. Quelques poules en liberté ou bien confinées dans une cave, des lapins aussi, il fallait pencher la tête par-dessus la porte fermière en bois pour les voir s’agiter. Faire le tour du village et s’arrêter derrière une ruine pour s’empiffrer de mûres en s’écorchant les doigts. Davantage de souvenirs du dehors que du dedans. La bâtisse, une ancienne école louée par les grands-parents. Une partie réservée à la Mairie. Une cour de récréation devenue parterre de verdure, le préau avec sa balançoire accrochée aux poutres de la charpente et sa corde à nœuds, sa grande salle de classe avec son sol de parquet brut, son estrade, son tableau noir à trois battants et ses quelques pupitres sur lesquelles la grand-mère faisait sécher durant tout l’été ses herbes médicinales (mauve, millepertuis, tilleul, thym, mélisse…) pour mieux supporter les rhumatismes de l’hiver. Un potager aussi entretenu par le grand-père, défense d’approcher ses petites pattes de là ! Une pièce à vivre cuisine-salle à manger d’où un petit escalier extérieur permettait de rejoindre une pergola fleurie par les soins de la grand-mère puis le jardin. Photo de la grand-mère en tablier à fleurs peut-être dans les tons bleus assise sur une chaise à l’ombre de ses plantes. Aucun souvenir de la salle d’eau et des chambres à coucher. Sans doute une grande pièce avec plusieurs couchages, dormir tête-bêche dans un petit lit, pour les enfants. Souvenir d’une seule nuit passée dans un de ces lits en compagnie d’une cousine plus âgée et bien trop entreprenante pour la fillette innocente que tu étais encore. Souvenir encore d’un soir d’orage, debout devant la porte de la cuisine à observer dehors la pluie tomber à grosses gouttes, terrifiée par les paroles du grand-père un peu taquin qui racontait que si on regardait les éclairs en face, on deviendrait aveugle. Souvenir d’une tarte aux myrtilles préparée par la grand-mère pour toute la famille et dévorée en une bouchée.
Une chambre d’étudiant provisoire, du côté de la faculté des sciences de Montpellier, pour celles et ceux qui n’avaient pas de chez-soi où passer l’été. Une chambre d’étudiant toute petite, comme toutes les chambres d’étudiant. Vieux bâtiments sans isolation, murs intérieurs sales et chauffés par le soleil de plomb quotidien pour des nuits de liquéfaction totale. Impossible de dormir même la fenêtre ouverte. Impossible de toute façon d’ouvrir la fenêtre à cause des invasions de moustiques et du vacarme des voitures alentours. Souvenir de sueur dégoulinant sur tes tempes et d’odeurs de rance, effluves de graille estudiantine. Carrelage rouge-brun (ou bien vert ?) à petits carreaux. Juste croiser quelque étudiant esseulé et hagard (comme toi) dans les couloirs pour te rendre jusqu’aux sanitaires et retourner bien vite dans ta chambre aux murs tièdes et crasseux en attendant que passent les deux mois d’été. Avant de rejoindre la cité de Vert-Bois, côté université de lettres.
Aucun souvenir de l’intérieur de ce camping-car acheté d’occasion par ton père dans le Nord de la France, un tube Citroën, modèle unique, gris et vert, tout en rondeur. Ce qui te fait penser qu’il a dû servir peu avant de tomber définitivement en panne ?… Combien de sorties avec ce véhicule ? Ou plutôt combien d’espoirs de sorties, de week-ends en famille, de vacances ? Pourtant tu vous revois partir à Sète près de la mer ou bien du côté de l’Aigoual à bord de l’engin au klaxon « meuh ! » qui te faisait sourire quand le père l’actionnait au moment du départ, quand vous quittiez la maison et descendiez la rue. Dîner à quatre ou cinq autour de la table sur le bord de route à Carnon pour un anniversaire. Du sel et du sable sur les peaux asséchées par le soleil qui grattent et qui tiraillent mais ça ne fait rien. Douce soirée festive et familiale. Tu ne retrouves pas dans l’entourage de personnes dont la date d’anniversaire tombe en été. Ce n’était peut-être pas l’été, peut-être juste le printemps, peut-être un soir d’automne sous le signe de l’été indien ? L’arrière-saison on appelle cela, pour dire que ça vient après, que c’est bientôt fini tout ça ou bien que c’est derrière, en arrière-plan, arrière-pensée, arriéré, dépassé, lointain, vieux comme l’arrière-arrière-grand-mère jamais connue… Tu repenses à cette soirée comme si c’était LA dernière. Des rires et de la bonne humeur au programme, sans tension sans scandale sans dispute, une veillée exceptionnelle en somme.