tu t’es vu vaciller, foutu, chaise bancale, le plancher s’est présenté à toi dur comme lui seul peut l’être quand son sens de l’accueil fait défaut, qu’il reste impassible à toi seul au sol, à tes gémissements de seul, ton épuisement, sa peau de latte de pin contre ta peau de lutteur qui a bu en bataille vu des bulles noires en pagaille, l’a senti se dérober cette vache de plancher seul sous ta fragilité du jour tombant, lui qui sans doute savait que la rencontre bois chair serait inéluctable à te fixer de ses nœuds depuis le début de la soirée – et donc l’air de rien t’attendait de toute sa platitude – rencontre que tu recherches aujourd’hui en choisissant l’assise méditative, l’ancrage sur tapis violet déroulé confortable, à tel point que plancher et tapis offrent à tes fesses le seul silence que tu estimes mériter à l’issue d’heures passées à fouler jamais seul petites surfaces bétonnées grandes surfaces vitrifiées plateaux résonnants paillages potagers, pour l’heure ce n’est ni par choix ni par plaisir que ta bave ruisselle sur les lattes claires qu’assombrit ce début de début de soirée dominicale, exacte réplique crois-tu de ce dimanche où de la bave mêlée de sang coula sur le carrelage bleu d’une salle de bain dans laquelle t’entailler la lèvre inférieure au rasoir jetable (acte involontaire, en rien dépressif – quoi d’être seul – et si rare pour toi te raser) t’envoya dans une pénombre giratoire où une dent une seule amortit le choc tout en ajoutant un petit débris blanc au rouge fluide qui se répandait à sa guise jusqu’à rencontrer un joint de ciment plus directif, sous l’œil d’un néon solitaire clignotant peut-être même responsable (car peu collaborant ou par intermittence disons) de l’enchaînement de l’accident : entaille – sang – vue du sang – malaise – chute – bosse, ni par choix ni par plaisir donc que ta bave se traîne hors de ta bouche qui vient de se gargariser de ce foutu whisky (et whisky et colère on sait bien), mais parce que ce sang – le tien c’est insupportable – a jailli dans le miroir qui t’a vu flancher vaciller lâcher le rasoir chercher appui sur le lavabo la baignoire ensuite sans succès l’un comme l’autre pour choir au bout de la scène comme saoul seul ivre de sang salive whisky hyperventilation combinés cocktail involontaire maintenant absorbé par la serviette que ta chute a emmené dans l’aventure, quelle aventure quelle aventure ridicule oui, moins grave de conséquence (une seule croûte sur la lèvre, on s’en remet tout seul), que celle qui lui a valu, il s’en souvient chaque fois qu’il passe dans cette rue, vingt ans plutôt de lécher mordre racler heurter le bitume communal malgré lui – il fait très chaud – on est dimanche – tout le monde est dehors – les trottoirs s’écrasent de chaussures – on est debout – on est assis – on est vautré – on cause – on va s’amuser du spectacle qu’il y a à voir des gens seuls à terre – tabassés – on fume – spectacle des corps couchés criant hurlant désarticulés – même une femme seule – faire comme si rien ne se passe – on n’interviendra pas – ce sol est à nous – ces pavés à nous – passage piétons à nous – rigoles et caniveaux à nous – soleil pour nous – noir pour toi – noir puis fuir – puis hôpital – il a froid elle aussi – tremblent tous deux étourdis et choqués – les larmes l’une après l’autre sur le carrelage de la salle d’attente, on est seuls ensemble et se vidant – à retomber ainsi plusieurs fois de suite par la volonté débridée de trois gaillards, à se recroqueviller chaque fois plus seul comprimé sous les coups des six pieds présents, certains quittant le sol pour atterrir soit dans les côtes soit dans le visage soit dans les reins soit nulle part, car ils ont bu ou fumé de toute évidence les lascars), il finit par penser que ce macadam surchauffé de fin juillet semble l’appeler comme s’il fallait à l’instant mourir là avec sa compagne probablement allongée de l’autre côté de la voiture répandant son sang elle aussi seule, il le comprend au travers des cris défoncés qui lui parviennent par le dessous du véhicule les portières restées ouvertes – il faisait chaud, les pneus fondaient au contact du goudron, quelle fournaise dehors comme dedans – rue, salle de bain ou salon, on n’est pas fier étendu sanguinolent ou juste inconscient, avec son filet de colère ou de déprime d’excès d’alcool au lieu de sexe massacré de soi ou par des méchants forts en bande, on touche dur un fond pas prévu qui quelques secondes avant était support stable, on est horizontal et sonné et seul et on nage à l’arrache contre ses misères et celles qu’on vous fait et on se relèvera peut-être – oh pas tout de suite s’il vous plaît – couvert d’éraflures et de particules d’orgueil et c’était des dimanches à terre
Ça pulse, ça me plaît !
Merci Jérémie, m’a aidé d’en faire un texte plus oral alors que je me perdais (mal)
Avalé d’une traite, souffle court. Il y a comme une urgence. Urgence à se souvenir ? Urgence à écrire ?
en fait, Manu, écrit d’une traite, puis posé 8 jours, puis repris en cherchant oralité, urgence différée, ai gardé la confusion que j’avais à l’écrire comme celle de ces dimanches qui se confondent dans ma mémoire
Seul, comme un leitmotiv qui donne un rythme, l’ambiance, le décor aussi.
Et cette bave.
Et ce sang.
Et l’alcool.
Et la violence.
Ca parle.
Et les événements s’enchaînent, mais se fondent les uns dans les autres, comme appartenant les uns aux autres, comme liés par quelque chose.
Eh bien Annick, ta lecture me fait plaisir, oui les événements se (con)fondent et s’appartiennent entre eux, c’est ça que je voulais rendre, des dimanches qui n’en font plus qu’un, à terre
Texte fort ! J’aime beacoup
Catherine, merci pour la lecture!