Sorties tout droit de l’anthologie d’une certaine dose de poésie
Quand on épluche les pommes de terre,
ça fait à peu près le même bruit
que quand on coiffe les cheveux d’un enfant.
[…]
Quand on coupe le fruit de la passion, il s’ouvre parfois comme avec le soupir d’un être qui a été pendant longtemps abandonné.
Quand on touche les feuilles de thé, on entend les pas d’une caravane dans le sable désert.
Quand on prend le gros sel entre pouce et index, et quand on frotte fort les cristaux, on entend la mâchoire d’une guêpe mâchant l’écorce d’un arbre, on entend le pas d’un être dans les cailloux, on entend les cailloux de la grande vague océanique tinter dans l’oreille intérieure, on entend le pas d’un merle dans le sous-bois, on entend la page d’un livre mouillé sécher au soleil, on entend les habits sales du fils prodigue craqueler dans le vent.
Peter Handke / Pourquoi la cuisine? (Extrait)
Traduction de l’allemand : Pierre Deshusses
Une rangée d’hippocampes embrochés
cuisant à la vapeur jusqu’à la transparence
dans une casserole cabossée
corps facettés de la taille d’un doigt
profils minuscules
comme sculptés avec une épingle
chaque mort décrite
dans l’enroulement contracté ou lâche de la queue
vêtu du manteau matelassé typique des villageois
un homme en a la charge
la fumée de sa cigarette
avalée par les fugaces fleurs de vapeur
il retourne les brochettes
l’ongle de son pouce noir et dédoublé
une blessure de l’autre vie
que les passants n’imaginent pas qu’il ait
de plus en plus ces derniers temps
ça lui échappe à lui aussi
dans la délicate obscurité couleur de thé
infusée au néon
Karina Borowicz / Cuisine de rue à Pékin / Street Food in Beijing
Traduction :Juliette Mouïren.
Poèmes de ces derniers jours qui me sont venus
À cause d’objets divers sans plus d’usage,
Petits ustensiles de cuisine en métal émaillé…
Un premier poème puis d’autres
Ça pourrait continuer ; suffirait
Que je les regarde souvent
Et m’en aille dans ces mots qu’ils me donnent.
Si dans la longue répétition
De plus ou moins le même poème repris
Autour de ta figure en allée, mon père,
Je ne fais pas de ton visage ou de l’allure de ton corps,
De tes colères, du secret
Que furent tes sentiments
La même chose qu’avec ces objets de tôle émaillée :
Rassembler des mots pris
À la matière du monde et sans vraiment
M’inquiéter de comment
Mon souvenir de toi n’est rien plus
Qu’un autre matériau pour écrire ?
James Sacré / Les arbres aussi sont du silence (extrait)
Je proclame que toute personne qui “mange” tous les “aliments colorés” de “7 couleurs” doit raisonnablement avouer la “multicoloration” de sa “propre nature” !!!!
Frédéric Bruly Bouabré / Paris la consciencieuse, Paris la guideuse du monde (extrait)
Étant enfant il arrivait que tard
le soir une fois par an vers la fin
du printemps une très vieille femme
poussant une petite remorque à
deux roues
vienne frapper au carreau
embué de la cuisine où l’on voyait
fumer la soupe elle demandait si elle
pouvait coucher la nuit sous le préau
de l’école
Mère de la route elle
me fascinait elle allais je crois à
Saint-Jacques-de-Compostelle
Depuis me vient cette envie de prendre la route
comme au fin fond de ce bled d’Orient
perdu pour y trouver rien que le vent
Yves Leclair/ Levant (Le voyageur immobile)
Dans la cuisine
ma mère recousait des ailes
rapiéçait des membres
ma mère était une magicienne
elle faisait des costumes
des armures avec des pattes
des pyjamas pour chiens
des abris pour les âmes
Un jour
par une chaude journée d’été
elle est disparue
devant le barbecue
les instruments à la main
aspirée par un nuage de fumée
et d’assaisonnements exotiques
Et moi assise à la table de jardin
je pressais des citrons
pour la limonade
dans la cour inondée de lumière
Carole David
C’est la mi-août déjà. Sur les talus,
le soir, des châles légers se promènent.
Il est temps pour les nobles guêpes
de jouer les pique-assiettes en cuisine.
Comme les femmes lisent le sort des confitures –
vigilante paresse, aveugle attention -,
je regarde par la fenêtre où habite le temps,
masqué en écoulement finissant de l’été.
Seule une image littéraire s’offre
au festin des guêpes: point de fruits au sucre.
Une mixture plus puissante mijote ici,
qui d’un œil innocent vous dévore tout vif.
Un tel été jamais ne m’arriva.
– Ça n’arrivera plus! m’assure quelqu’un.
Je sursaute: une pomme est tombée
pour consolider ce verdict.
Mon cœur effarouché part au trot de la vie,
le pauvre: il bat si minutieusement.
Se pourrait-il que le néant si proche
soit bavard comme une sotte voisine?
Mais non, c’est août, et les pommes qui tombent.
Je n’ai pas reconnu le sens de cette chute.
Au refus de comprendre répond, agacé,
l’incontestable martèlement contre le toit.
Qu’il en soit donc ainsi. Mieux vaut faire court.
Je veille la nuit de la chute des pommes.
Croquante, piétinant la terre féconde,
la vie gentille rentre de promenade.
Bella Akhmadoulina / La nuit où les pommes tombent
Traduction : Christine Zeytounian-Beloüs
Dans la cuisine la fille s’essuie les mains sur ses hanches.
On ne vient que pour réclamer
Alors elle ne tourne pas toujours la tête
Front essuyé au creux du coude
Quand la porte s’ouvre seulement du bruit
Le travail fait marcher presque danser
Une robe tâchée peut être une robe de bonheur
Parce qu’en elle
La sueur n’empêche pas les yeux clairs
Quand on souhaite de pied ferme
Rendre heureux qui on sait
Et qui est tout près d’ici
Ce ne sont pas les rois qui font les reines.
Ariane Dreyfus / L’homme qui tua Liberty Valence
Elle n’a pas des tas de couleurs ou
de parfums, pas d’écorchures, de peines, de désirs de vengeance.
Sa colère quotidienne s’est émoussée
en faisant la cuisine, le ménage, en se penchant et en bouillant,
et même ses voeux les plus secrets se sont dilués
dans le thé qu’elle prépare . Maintenant elle arrive
portant son sourire sur le plateau, jolie et toute petite
et vêtue d’ une blouse blanche ; on ne voit presque pas
sa silhouette maigre. Elle n’attire ni par
la forme de son corps longtemps ignoré
ni par des yeux profonds capables presque de parler (ou regarder furtivement).
Elle vous apaise tandis qu’elle se calme elle-même
avec l’arôme d’un thé nommé Paix. Ses épines
ont poussé en charmants buissons qui chassent de leur broussaille
les chantantes tensions du jour et de la nuit.
Elle ne se plaint pas mélancoliquement, car elle a
de la lumière dans son corps, elle ne se plaint pas avec éclat
car il lui faut plus de lumière pour continuer sa route.
Elle broie des roses dans le thé et porte
recettes et remèdes aux patients qui lui ressemblent.
Ming Di / Au nom des roses
Traduction : Marilyne Bertoncini
Il faisait noir à présent et glacial, je t’attendais,
après une dispute : foudroyant du regard les trams
qui passaient sur la place, remarquant que plus nombreux
étaient les gens qui défilaient, plus ils se ressemblaient : la foule
me tapait sur les nerfs. J’étais frigorifié. Si seulement, je me disais,
j’arrivais à te retenir, je pourrais tout oublier.
Peu importait à présent qu’il se soit mis à neiger.
Chaque os de mon corps se transformait en glace,
j’ai fini par regagner la maison dans la neige,
les bras chargés de paquets. Tu avais laissé le beurre sur
la table de la cuisine et un sandwich à demi entamé près de l’ordinateur,
les traces boueuses de tes pas menaient du balcon à la cuisine. J’ai
mis de la musique, fait la lessive et la vaisselle. Avant de me coucher
j’ai décoré le sapin pour qu’au cas où tu reviendrais
dans la nuit tu retrouves tout en ordre et te glisses
doucement dans le lit à mes côtés.
Andrew Gerevicth /Courses de Noël
Traduction : Brigitte Gyr
MERCI et MERCI et…
Merci pour cette belle moisson. Et vous votre madeleine, c’est quoi ? Ca donne envie d’écrire tous ces textes.
un rêve marche dans ces mots…
Merci pour tous ces textes, si riches, sources d’idées, de propositions.
Merci
Merci ! Des textes riches médiations pour des ateliers à venir
Oh super ce parcours , merci Emmanuelle!