L’infini d’un ciel, percuté de nuages, orné d’une lune de nacre où tout se noie comme ces trainées de rêves ou ces pensées froissées qui heurtent les talus, épousent les feuillages qui filent sans que l’on sache de quelle essence d’arbre, se crispent auprès des parois sombres que la voiture longe quelques instants, puis le souffle s’apaise, les paupières luttent pour ne pas se fermer, Magnificat chante Arvo Pärt, le paysage ralentit ou c’est le conducteur qui prend son temps, et le ciel s’élargit, un rapace plane à l’affût d’un champ, à la place du mort le temps s’évanouit, et elle se retrouve près de la fenêtre d’ennui du troisième étage, trop petite pour que ses yeux ne voient autre chose que le ciel et les hirondelles qui strient l’azur comme elle-même griffe ses cahiers d’arabesques qui n’ont aucun sens, elle n’est qu’attente d’un devenir qui ne changera guère, toujours à se tenir derrière une vitre à rêver d’un là-bas, cet ailleurs d’un réel où elle ne se risque pas, et sans aucune raison, mais il y a des courts-circuits dans les pensées , elle se revoit derrière ces carrés de vitres où la pluie découpe ce petit napperon de dentelle et l’œil happé par le chemin des gouttes, elle pense que le ciel essore alors tous les chagrins du monde, elle suit la course des gouttes d’eau le long des câbles électriques, suspend son souffle à leur chute, espère qu’elles ne tomberont pas mais resteront accrochées jusqu’à la venue du soleil qui les aspirera, mais bien sûr les gouttes chutent, c’est la loi de la vie, puis la lumière va froisser ce rideau de larmes, des lèvres bleues percent et écartent la couverture grise dénouant les tresses d’oppression, les épaules lourdes elle connait bien lorsque, veillant au bord du lit, attentive au souffle qui se raréfiait, elle reprenait un peu de force à regarder passer les trains sur la voie ferrée de l’autre côté du boulevard avec parfois un visage aperçu, une silhouette qui, pendant quelques secondes incarnait une vie, prenait possession de son esprit et la distrayait d’un présent sans avenir, dans ce champ où l’invisible s’installe dans la perspective, elle se voit face à des vitraux que la lumière laboure de ses faisceaux, creusant des sillons aux revers d’ombre , elle est atentive aux infimes changements de couleurs, ocre tendre d’un dehors qui se bleuit, au seuil de l’étoffe d’un jour où tout est encore flou, et en une fraction de seconde l’éblouissement d’une sensation de mélancolie contre laquelle il est vain de lutter sinon en se concentrant sur un petit losange de jardin, juste au-dessous de la fenêtre du bureau, où, évanescente, une bruyère aux fleurs mauves et des bambous nains laissent des éclats de vie se déchiffrer dans ce miroir végétal, ce petit jardin de poupée où chaque matin, pendant des mois, elle a regardé croître ses propres égarements, scruté des ailleurs, cueilli des silences de bleu et dont aujourd’hui, elle n’aperçoit que des ronces enlaçant les nids d’ombres, ces interstices où tout se terre.
Beaucoup aimé cette déambulation, cette errance de fenêtre en fenêtre, on glisse sans s’en apercevoir, on glisse de larmes en pluie…