elle restait immuable c’était rassurant d’une année sur l’autre les vacances en saut de puce été comme hiver on ne pouvait pas la surprendre même en arrivant à l’improviste c’était le cœur chaud battant de la maison avec sa cheminée immense qui mangeait tout le fond près de l’armoire aux apéritifs la cuisine accueillante avec ses petits carreaux crème puis bleu puis rouge son devant d’âtre noir la table au milieu la nappe désuète les chaises en paille pour tous les cousins cousines oncles tantes grands-parents voisins occasionnels des grandes occasions juste derrière le vieux bahut peut-être centenaire allez savoir sentait bon la cire le vécu de cuisine à côté la gazinière mon premier coulis de tomates odorant avec le romarin du jardin réduisait à petits bouillons je restais fascinée à le regarder faire concentrer les saveurs et le sucre au fond l’évier puis les marches elles donnaient sur la chambre des grands-parents en contrebas trois en bois pas entretenu qui sert juste à marcher dessus le brouhaha des cuisines la vapeur aux fenêtres le rougeoiement des braises les joues chaudes qui brûlent la danse des flammes la ouate les pas des adultes enjambent et pestent décolle-toi un peu tu es encore là tu n’as rien à faire d’autre moi surprise d’être accusée je regarde et garde tout les pieds de la table en inox ses chevilles fines et chaussées d’embouts noirs les rainures des rallonges invisibles du dessus les conversations grasses les éclats de voix rires rage les châteaux qui s’écroulent crépitement des étincelles la cocotte siffle les patates sont cuites la buée embue les vitres la porte entrouverte sur le couloir glacial comme une autre cocotte la vapeur s’échappe mais le froid va entrer on le referme vite les soirs de voie lactée et de grillons stridents les soirs menaçants d’un orage d’été tout le monde se souvient même ceux qui n’y étaient pas surtout la grand-mère de garder les fenêtres closes une boule de feu est entrée il y a longtemps avant de ressortir par la large cheminée le courant d’air l’avait attirée c’était la foudre grimée elle a traversé la tablée aux nombreux enfants sans les toucher la cheminée était trop forte la boule n’a pas pu résister à l’appel de son air du dehors les serviettes de table n’ont pas brûlé une sacrée chance une sacrée trouille mieux vaut la buée elle rend moite et somnolent