« On va chez Courdy ou chez Alary ». Il n’y avait dans la petite ville de ce temps de mes cinq-sept ans que deux librairies et Qwant me répond qu’aujourd’hui il n’y a plus que le rayon livres du Centre Leclerc dans cette petite ville-là. Et pourtant, en ce temps on va au magasin de livres comme on va chez des gens. D’ailleurs, l’endroit est plus petit que les salons des maisons où nous allons parfois. Et pas si rempli de livres que ça. Mais ce qui plaît à mes six ans, c’est que la télé y est représentée. Un moyen de faire valoir une librairie de petite ville en ce temps, c’est d’afficher en vitrine des livres qui parlent des émissions de télé. C’est ainsi que j’aurai Thibaud ou les croisades pour l’anniversaire de mes sept ans, avec en couverture une vraie photo où l’on voit le Chevalier blanc comme en vrai mais en plus, avec le ciel en couleur derrière, ce que la télé ne montre pas encore…
« On va choisir les livres pour Noël ». La ville est plus grande pour mes années lycée. L’endroit où on va ne s’appelle pas tout à fait librairie. C’est un magasin de livres à bas prix. Comme ça, on pourra en avoir beaucoup ! Des livres qui ressemblent aux commandes du Reader’s digest que fait Mémé pour les anniversaires. Ça permet d’apprendre encore plus qu’à l’école, ça parle de pays, de nature, ça peut parler de littérature aussi. Des biographies de Victor-Hugo et de Goethe, c’est déjà ça. Les gens qui travaillent là ressemblent à des vendeurs et des vendeuses comme il y en a dans les autres magasins. Ce n’est pas la peine de leur poser des questions, on voit bien ce qu’on achète et tout ce qu’il y a à acheter d’ailleurs !
« Ah, la librairie syndicaliste… » Et voilà, désormais, je ne peux pas dire que je vais à la librairie de la Renaissance sans me faire cataloguer ! Pourtant, c’est juste sentimental. Et ça me coûte d’aller jusqu’au terminus du métro, après le déménagement militant de 81 depuis le centre-ville vers « les quartiers ». Et voilà… Bon, c’est quand même pas toutes les libraires qui te donnent la possibilité d’être coup de cœur des libraires dans une aussi grande librairie que celle de la fête de l’Huma ! Et puis une libraire qui te fait la bise au lieu d’essayer de te refourguer le dernier Goncourt. Qui vante la tradition orale, t’apprend un proverbe espagnol. Et puis qui t’offre un agenda « pour noter tes jours de signature » -si t’en as bien sûr, mais c’est pas méchamment hypothétique… Au moins, on ne t’offre pas l’éternel marque-page pour la dernière collection que le lobby des éditeurs en vue a chargé les libraires de refourguer. Et puis on te laisse espérer qu’un jour tu pourras faire une perf-lecture dans le grand auditorium qui fait le double de l’espace aux livres. Et puis tu t’en vas, jusqu’à la prochaine fois…